"Pourquoi les taux français sont-ils historiquement faibles ? "

Par David Le Bris, enseignant-chercheur à BEM (Bordeaux Management School).  |   |  1007  mots
Copyright Reuters
Depuis le début de l'année, prêter à l'Etat français pendant 10 ans rapporte moins de 3 % Depuis le milieu du XVIIIème siècle, ce seuil de 3 % n'avait été enfoncé que deux fois. D'abord à la fin du XIXème siècle, à la suite des emprunts Thiers lancés pour payer les indemnités versées par la France à la Prusse, puis durant la Seconde Guerre Mondiale et dans l'immédiate après-guerre. </ br> Retrouvez le dossier complet "La France, la dette et les moyens d'en sortir" dans La Tribune Hebdo d'aujourd'hui.

Alors que l'Europe s'inquiète de la crise des dettes publiques, l'Etat français emprunte à un taux historiquement bas. Depuis le début de l'année, prêter à l'Etat français pendant 10 ans rapporte moins de 3 %. Quels sont les précédents historiques et pourquoi les taux sont-ils si faibles aujourd'hui ?

Seulement deux précédents

Depuis le milieu du XVIIIème siècle, le seuil de 3 % n'avait été enfoncé que deux fois. D'abord à la fin du XIXème siècle, à la suite d'une baisse continue enregistrée depuis 1871. Pour libérer son territoire, la France a du verser à la Prusse une indemnité de 5 milliards de francs (25 % du PIB). Cette somme est levée en quelques mois par l'émission de nouvelles dettes (les emprunts Thiers) provoquant une envolée des taux d'intérêt. La saine gestion des décennies suivantes rend le budget structurellement excédentaire ; il n'émet plus de nouvelle dette. La dette existante devient donc très recherchée abaissant son taux à un niveau de faiblesse inédit.
Ensuite, c'est durant la Seconde Guerre Mondiale et dans l'immédiate après-guerre que les taux connaissent un nouveau plancher. Il est surprenant qu'un pays battu, occupé et au c?ur d'un conflit international puisse emprunter si peu cher. Ce paradoxe s'explique par la répression financière mise en place sous le régime de Vichy et poursuivie par la suite. Ce taux minimum est organisé car combiné à une très forte inflation, il permet à l'Etat de rembourser sa dette en monnaie dévaluée. Alors que la dette publique représente 70 % du PIB en 1939, elle est quasiment nulle en 1950 malgré l'endettement supplémentaire dû aux dépenses du conflit, aux indemnités d'Occupation et à la nationalisation d'un tiers des entreprises à la Libération.

La répression financière abaisse artificiellement le taux

En effet, il y a deux moyens de ne pas rembourser sa dette. Le défaut officiel dont le dernier remonte à 1797 avec l'annulation des deux tiers de la dette. L'autre façon de ne pas rembourser est de payer en monnaie nationale dévaluée par l'inflation mais pour parvenir à ce résultat le taux d'intérêt doit rester bas ; c'est le but de la répression financière. Cette méthode est pleinement mise en ?uvre dans les années 1940. Différentes mesures fiscales ou réglementaires dissuadent les épargnants d'acheter autre chose que de la dette publique. Les loyers sont gelés de 1914 à 1948 transformant l'immobilier en repoussoir. La fiscalité est largement défavorable aux actions alors que prêter à l'Etat est exonéré. Le commerce de l'or est interdit. Enfin, les capitaux ne sont plus libres de s'investir à l'étranger.
Dans le même, temps la planche à billet tourne à plein car l'Etat finance ses dépenses avec l'argent que la Banque de France lui prête. Ces francs supplémentaires sans nouvelle richesse produite provoquent la hausse des prix. La répression financière permet à l'Etat de continuer à emprunter à bon marché malgré des taux d'inflation à deux chiffres. Mais cette dette que l'Etat efface par l'inflation est aussi l'épargne des Français. Face à la destruction de cette épargne traditionnelle, les assurances sociales par répartition prendront le relais à la Libération. Par ailleurs, l'ensemble de l'économie est perturbée car les signaux essentiels que constituent les taux de rentabilité sont biaisés par cette répression.


 

L'explication actuelle : le lien France-Allemagne institué par Mitterrand

Aujourd'hui, les faibles taux ne sont ni le résultat d'un excédent budgétaire ni d'une répression financière. Depuis le début de la crise, la politique monétaire de la BCE est très accommodante avec des conditions de prêts aux banques assouplies et à faibles taux créant des euros en abondance. Ces euros fuient les pays du sud de l'Europe pour se réfugier vers les pays les plus fiables. Pourtant par de nombreux aspects, la France ressemble à un PIGS : sa compétitivité a baissé depuis la création de l'euro, son déficit public est élevé et sa balance commerciale est déficitaire. Mais depuis 30 ans, la France a fait le choix politique fondamental de coller au meilleur élève : l'Allemagne.
Lorsque Mitterrand arrive au pouvoir, le taux est à 17 % à cause des expériences monétaires internationales hasardeuses et de son programme hostile à l'économie de marché. En 1983, après quelques mois de dépenses inconsidérées, il dévalue le franc et met un terme au socialisme. A cette date, il fait le choix du « franc fort » en liant de manière inconditionnelle le Franc au Mark, la France à l'Allemagne. Cette alliance s'est institutionnalisée et étendue avec la création de l'euro.

L'enjeu de Hollande : combler l'écart pour maintenir ce lien

Ce choix a été payant en accentuant en France le mouvement international de baisse des taux enregistré depuis les années 1980. Cette baisse exceptionnellement forte est à l'origine d'une hausse, aussi inédite, de la valeur des actifs notamment des actions et de l'immobilier facilitant les investissements de toutes natures. Mais à l'abri de l'euro, sans le franc auquel le marché donnait un prix, la France a relâché ses efforts. Les prix ont plus augmenté de ce côté du Rhin et à 56 % du PIB, la dépense publique française est de 10 % supérieure à l'Allemagne. Les taux allemands sont aujourd'hui inférieurs de moitié aux français.
Pour que la divergence avec l'Allemagne ne soit pas irrémédiable, la France de 2012 doit faire un choix de la même nature que celui de 1983. L'avantage est que les exemples de réformes, des Pays-Bas à la Suède, nous montrent ce qu'il convient de faire. L'inconvénient est que le nouveau président a été élu en sous-entendant qu'il ne prendrait pas ces chemins mais ceux d'une improbable relance par la croissance à crédit.
Le nouveau président socialiste devra rapidement décider s'il poursuit ou non l'aventure franco-allemande entamée par son prédécesseur en 1983 pour espérer que l'euro survive.