Pour ou Contre un troisième mandat de Laurence Parisot au Medef ?

Par Philippe Mabille  |   |  2213  mots
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La bataille du Medef a commencé. La décision de l'actuelle présidente de briguer un troisième mandat divise le patronat et conduit les uns et les autres à se positionner. Pour ou contre Laurence Parisot ? Le débat est lancé.

Vote à main levée ou anonyme lors du conseil exécutif décisif convoqué jeudi prochain, le 28 mars, sur l'opportunité de réformer les statuts du Medef ? Le débat que nous vous proposons de découvrir ci-dessous en est le reflet.

Jean-Luc Placet, président de la puissante fédération Syntec, défend ardemment et à ciel ouvert Laurence Parisot, estimant que les statuts du Medef, "ce n'est tout de même pas la Constitution américaine". Il rejoint dans son soutien le chef de file de l'Union française des industries pétrolières (UFIP) Jean-Louis Schilansky et l'influent banquier Michel Pébereau, qui devrait lui assurer les faveurs de la fédération bancaire française (FBF).
Les Arvernes, de leur côté, interviennent dans ce débat de façon anonyme, comme ceux des 45 membres du Conseil exécutif qui veulent voter à bulletin secret. Derrière cette signature des "Arvernes" (*) se retrouvent un groupe de hauts fonctionnaires, d'économistes, de chefs d'entreprises et de professeurs d'université, actifs dans le débat public et dont le cheval de bataille est la gouvernance. De ce point de vue, ils jugent qu'en s'accrochant à son siège, la présidente du Medef adresse "un signal désastreux". Ils rejoignent l'opposition à la réforme des statuts exprimée non seulement par les autres candidats déclarés ou non, mais aussi par la puissante UIMM, la fédération de la métallurgie et de plus en plus d'ex-soutiens proclamés de la présidente, à l'image de Patrick Bernasconi, le président de la fédération nationale des Travaux Publics, dans Le Monde ce vendredi.
A chacun de juger, de commenter et de se faire une idée, sachant que l'important est de s'interroger aussi, au-delà des personnes, sur le rôle que doit jouer le Medef en particulier et le patronat en général dans le jeu politique, social et sociétal, à un moment charnière et décisif pour l'économie française, en pleine crise et en plein doute, alors que la croissance et le dynamisme qui a fait ses succès passés semblent s'être évaporés. Espérons que cela ne sera pas le cas dans les sables de cette élection patronale.

POUR   CONTRE
 


Jean Luc Placet est president d'IDRH et president de la fédération Syntec
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Depuis le Conseil Exécutif du Medef du 14 janvier dernier, il y a près de 2 mois où Laurence Parisot a ouvert la séance en proposant de modifier les statuts du Medef pour pouvoir prolonger son mandat ou se faire élire une 3ème fois, que n'a t-on pas entendu !

Regardons les acteurs : il y a ceux qui sont directement concernés c'est-à-dire les candidats annoncés ou in petto qui enragent de voir se dresser devant eux comme candidate la Présidente qui devait définitivement s'esquiver en juillet 2013. On peut tout à fait les comprendre, certains ont une vraie vision pour le Medef, d'autres n'avaient qu'une vraie vision pour eux-mêmes mais c'est rageant.

Deuxième famille d'acteurs : les vestales des statuts du Medef. Mon Dieu, j'aurai vécu assez longtemps pour voir à quel point le cher Medef a des statuts qui, en 10 ans, méritent d'être protégés au moins autant que les tables de Moïse ou la Constitution américaine. « Elle ne peut pas faire cela » « c'est une infamie », « c'est une forfaiture », « vouloir changer des statuts comme cela où allons-nous » « tout fout le camp ». Je suis sûr qu'il y a de bonnes pensées dans cette famille, c'est agaçant de voir un dirigeant changer les règles quand cela l'arrange mais faire une mystique de nos statuts ! Tout de même, quelle est l'association qui, à un moment ou à un autre de sa vie, pour des raisons objectives, ne veut pas changer des règles du jeu devenues obsolètes ou inadaptées.

Troisième famille : les Medef territoriaux dont beaucoup ont considéré avec effroi ce que cette « charge » de la Présidente du Medef allait entrainer pour la légitimité de l'ensemble : l'épouvantable modèle de l'UMP avec une querelle des chefs aboutissant à un affaiblissement de l'institution est très présent chez eux. Ce sentiment est parfaitement honorable et c'est vrai, arrêter une mécanique presque bien huilée peut avoir des conséquences très aléatoires.

Mais revenons à Laurence Parisot : dans le fond pourquoi aller au-delà de ces 8 ans ? Pour qui ? Est-ce uniquement pour la satisfaction de la fréquentation des média ? Pour l'encens des palais nationaux et la familiarité avec nos princes ? Est-ce pour la satisfaction périodique de coups de fouet vengeurs de ses interlocuteurs syndicaux. Est-ce uniquement par gloriole, par gout des paillettes ou terreur de l'ennui ?

Soyons plus objectif vis-à-vis d'elle : qu'a-t-elle fait depuis 8 ans qui pourrait faire croire qu'elle serait capable de passer d'une manière très efficace quelques années supplémentaires à la tête du Medef.

Premièrement, elle n'a jamais considéré qu'être présidente du Medef était une décoration ou une sénatorerie comme sous l'empire c'est une charge pas un statut, et elle, patronne d'une pme à la tête d'une institution comprenant des sous ensembles incroyablement puissants savait qu'il fallait servir pour durer et être digne de sa charge. Dans le fond moi qui ai tellement critiqué le bénévolat de la fonction c'est ce qui en fait la noblesse et en plus elle persiste !

Deuxièmement, elle a su, dans le débat politico-social, une des grandes joies de notre société française depuis des décennies, donner au Medef une autre image que l'image caricaturale que l'on donnait du Comité des Forges. Je me souviens d'une réaction d'un syndicaliste à son élection de 2005 me disant qu'elle serait beaucoup plus difficile à combattre que son prédécesseur. Bref, elle a fait du Medef quelque chose de normal !

Troisièmement, on lui reproche beaucoup la volonté qu'elle a d'afficher le rôle sociétal des entreprises et du Medef en considérant qu'en s'engageant dans ces voies elle détournait l'entreprise de son seul objectif de rentabilité, quelle erreur ! Elle a ouvert une voie ou plutôt un chemin de crête qui, j'espère un jour, aboutira à une autoroute. Elle fait comprendre au chef d'entreprise que l'époque où il y avait deux vies, la vie à l'intérieur et la vie à l'extérieur de l'entreprise et que ces deux vies n'avaient rien à voir est révolu.

Au jour d'aujourd'hui si l'économie est mondialisée, l'entreprise a des frontières poreuses ; un chef d'entreprise a des actionnaires avec une multiplicité d'enjeux et de logiques, aujourd'hui les salariés ont de multiples sources d'informations, de multiples centres d'intérêt et de multiples motifs d'engagement et que le travail n'est que l'un d'entre eux. Aujourd'hui une entreprise vit sur un territoire mais pas comme une ville fortifiée mais comme un camp de tentes ouvert à toutes les influences et forcément sensible à tous ceux qui parcourt ce territoire.

La diversité de l'origine des salariés, l'insertion des salariés très éloignés de l'emploi, l'égalité homme femme, les relations avec les institutions publiques, politiques, éducatives, judiciaires sont essentielles ; le chef d'entreprise est un homme comme les autres peut être mais responsable plus que d'autres dans la cité.

C'est ce message qu'elle martèle depuis 8 ans qui restera l'un des éléments les plus importants de ses mandatures.

Que citer encore ? Le fait qu'elle soit une européenne convaincue et qu'elle disait qu'il ya encore un long chemin à parcourir et un prix lourd à payer pour être autre chose qu'une collection d'égoïsmes glorieux et de petitesses dissimulées.

Mais plus encore, ce qui me frappe chez elle, c'est le respect des hommes et la volonté farouche qu'elle a de fonder un dialogue social libre consenti, responsable, évolutif, moderne, raisonnable et raisonné.

Oui je suis partisan qu'elle poursuive encore son parcours. Est-elle meilleure que les autres peut être que oui peut être que non. Elle est en tout cas déterminée et courageuse ce qui la rend presque sans égal.

 


Les Arvernes (*)
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La Présidente sortante du Medef se rapproche de son objectif : se faire réélire. Mais sa campagne produit des dégâts considérables et sa réélection enverrait un signal désastreux. Il est encore temps de réagir.

Désormais, au lieu de justifier seulement son désir de briguer un troisième mandat par les circonstances exceptionnelles, l'actuelle présidente du Medef avance un désir de démocratie. Modifier des statuts à la dernière minute pourassouvir à une ambition personnelle serait ainsi le summum de la démocratie, puisque par définition, celle-ci donne sa chance à tous. Drôle de conception.

Il est à craindre qu'en se drapant dans ces oripeaux, MadameParisot n'enfonce un clou supplémentaire dans le cercueil de la démocratie élective. Elle incarne en effet précisément ce que les Français reprochent à leurs dirigeants politiques : la volonté de faire profession de leurs fonctions électives, le désir irrépressible de durer, le mépris des institutions quand elles ne satisfont pas à leurs aspirations et le souhait d'adapter les premières aux secondes, et non l'inverse.

S'il y a bien quelque chose que Madame Parisot a voulu incarner, c'est le patronat exemplaire. Le patronat conscient des débordements en matière de rémunération, des nécessités imposées par le contexte de la crise, le patronat acteur de la rénovation sociale. Malheureusement pour elle, sa campagne pulvérise son discours, et le rappel qu'elle fait de son bilan se heurte à cette vérité primitive, brute : Madame Parisot semble se moquer de l'exemplarité. Sous le prétexte de « circonstances exceptionnelles » la portant à se comparer elle-même à Roosevelt (sic !) transparaît nettement le goût du pouvoir pour le pouvoir.

Celle qui voulait rénover l'image du Medef lui porte ainsi un coup très sévère. Ce que les dirigeants d'entreprise et les Français attendent, ce n'est pas un patron du Medef préoccupé de soi seul, mais un patron qui agisse sur le terrain des idées et fasse abstraction de sa propre trajectoire personnelle. C'est, du reste, tout le sens d'un mandat non-rémunéré, permettant à celui qui l'exerce de rester d'abord lié à son entreprise et non au Medef lui-même, qu'il sert mais dont il ne se sert pas. La manière dont procède LaurenceParisot contrevient à ces attentes et décrédibilise le mouvement patronal.

Ce que nous attendons du Medef, c'est justement qu'il ne se conforme pas aux usages et pratiques qui ont mis notre pays à genoux. Nous attendons du Medef qu'il joue tout son rôle dans la promotion de la compétitivité économique, sans se prendre au jeu des combinaisons avec le pouvoir en place. Nous avons besoin d'un Medef de combat qui ne confonde pas dialogue et compromission. La France a besoin d'une représentation patronale qui parle haut et fort, et puisse affronter les enjeux sans être soupçonnée d'arrière-pensées personnelles. Ainsi, nous souhaitons que le patron du Medef soit un chef d'entreprise et entende retourner à ses affaires une fois son mandat achevé : car c'est ainsi qu'il ou elle sera le plus sûrement comptable de son action !

La façon dont Madame Parisot man?uvre va d'ores et déjà à l'encontre de toutes ces attentes. Son élection ruinerait durablement la crédibilité du Medef et des 700 000 entreprises qu'il représente : car alors le Medef aurait donné l'exemple d'une vision archaïque et bananière de la démocratie. La démocratie façon Laurence Parisot rejoint les pires excès des cumulards et des élus à vie de la Vème République. La réforme des statuts exigée au dernier moment est digne non de la démocratie occidentale, mais de la « démocratie populaire » du bloc soviétique.

La démocratie façon Laurence Parisot, c'est aussi celle qui prend en otage l'élection pour en faire un référendum personnel. La démocratie façon Laurence Parisot, c'est un « tout sauf l'entreprise » : comment imaginer qu'une dirigeante puisse souhaiter rester 13 ans (un record !) éloignée de l'entreprise qu'elle est supposée diriger ? Enfin, la démocratie façon Laurence Parisot, c'est l'éviction des idées par la politique interne. Car aucune idée, aucune proposition ne franchit ce barrage égocentré qu'elle a construit autour d'elle. Tout est sacrifié sur l'autel de manipulations d'appareil.

Les enjeux sont trop graves pour que le Medef compromette sa crédibilité dans les dérives où l'entraîne Madame Parisot.C'est pourquoi nous lui disons : Madame, le dernier service que vous rendrez au Medef sera aussi le plus grand que vous lui ayez jamais rendu : le quitter dans la dignité, dans le sentiment du devoir accompli et sans insulter son avenir.

(*) Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, d'économistes, de chefs d'entreprises et de professeurs d'université. La presse les présente souvent comme l'équivalent à droite de ce qu'ont été les Gracques pour la gauche lors de la campagne de Ségolène Royal en 2007.