Le vrai bonus,... C'est le malus !

Par Stéphane Cossé  |   |  738  mots
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Le 22 juin dernier, Toyota a annoncé que l'entreprise allait accroître ses capacités de production de la Yaris, son modèle hybride phare, sur son site de Valenciennes. Dans le cadre de sa stratégie mondiale de production, la France lui est apparu comme la plus à même de fabriquer ce modèle. Cet investissement aura pour vocation de construire des véhicules adaptés au marché américain. L'annonce est bénéfique pour l'activité économique, l'emploi et la balance commerciale. La qualité de la main d'œuvre et des infrastructures est reconnue.

Toyota a pris cette décision favorable à l'économie française dans le contexte d'un arbitrage mondiale de ses capacités de production. Pourquoi alors qualifier brutalement d' « inacceptable » une décision similaire d'un constructeur français, qu'ils s'agissent de PSA ou Renault, qui met en ?uvre une stratégie mondiale? En outre, force est de constater que la décision de Toyota a été prise sans annonce de bonus à la clé. Le choix du gouvernement de renforcer le bonus pour les voitures hybride est en effet intervenu un mois après.

Dans cet esprit, on ne peut que s'interroger sur l'efficacité du mécanisme du bonus. Au cours des dernières années, le bonus a eu des effets négatifs importants. Son bilan écologique n'est pas favorable: comme l'a montré l'INSEE, le bonus a favorisé l'achat de voiture au diesel (un carburant plus polluant), a suscité des besoins supplémentaires auprès de consommateurs (notamment un déclic pour acheter une deuxième, voire une troisième voiture) et a incité les automobilistes à rouler plus souvent et plus longtemps.

Le coût financier du bonus s'est avéré astronomique. Le malus introduit sur les véhicules les plus polluants n'a pas permis de compenser le versement du bonus : en net, le bonus a coûté 1,5 milliard aux contribuables entre 2008 et 2011. En 2013, il pourrait coûter jusqu'à 500 millions d'euros, si le malus n'est pas à nouveau augmenté.

Le bonus introduit donc un effet d'aubaine. Il n'influe pas sur les décisions stratégiques des investisseurs : en témoigne le pari stratégique au-delà des frontières françaises de Renault de construire une voiture électrique ou le choix de Toyota de renforcer son site de Valenciennes. D'un point de vue écologique, la chaîne économique de l'industrie automobile était déjà entrée dans une démarche vertueuse, comme le montre la baisse progressive avant 2008 du taux moyen d'émission de CO² par véhicule mis en vente.

A contrario, tout laisse à penser que le malus est lui une bonne démarche. Selon la même étude de l'INSEE, le bilan écologique est positif à travers une baisse des ventes de moitié des « grandes routières », qui compte parmi les véhicules les plus polluants.

Le malus rapporte bien entendu des recettes supplémentaires (qui peuvent être réinvesties vers la recherche pour la voiture du futur). Mais son objectif premier n'est pas là. Car le malus a avant tout des vertus incitatives. Il permet de modifier nos comportements sans caractère punitif. Il a pour avantage d'inciter les producteurs et les distributeurs à modifier leurs décisions d'investissement. Ceux-ci savent qu'ils doivent s'adapter, innover et proposer des produits non soumis au malus. Le malus sera, il est vrai, d'autant plus efficace qu'il sera accompagné en parallèle par des normes et réglementations nouvelles. Mises en ?uvre progressivement et clairement, ces dernières sont acceptées par les industriels.

En outre, le malus n'est pas socialement injuste puisqu'une alternative pour le même usage existe. Il ne peut être accusé non plus d'être protectionniste, comme l'OMC l'a établi, puisqu'il s'applique indifféremment à tous les produits quel que soit leur lieu de production. Il sera toutefois d'autant plus équitable que si, dans le même esprit, il est introduit chez nos partenaires européens.

Enfin, le malus pourrait être généralisable sur tous les produits de grande consommation particulièrement émetteurs en CO2, lorsque, pour le même usage, un substitut existe à un coût raisonnable (pour ne pas être socialement injuste). Des sociologues, Richard Thaler et Cass Sunstein, ont appelé cela le nudging, le « petit coup de coude » de l'Etat dans son rôle incitatif et stimulant. Notons qu'un projet d'introduire un malus sur l'électricité est envisagé: il serait introduit aux heures de consommation de pointe, pendant lesquelles les centrales thermiques, les plus émettrices de CO², fonctionnent activement, notamment en hiver. Ceci inciterait chacun à changer ses habitudes, en déplaçant notamment au cours de la journée ses usages (machines à laver, recharges, ...).

Au total, le malus est nécessaire, pas le bonus. Il envoie les bons signaux aux industriels et aux consommateurs, récompense l'innovation, responsabilise les comportements et contribue à la préservation de la planète.

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Stéphane Cossé est ancien « senior economist » au FMI, maître de conférences à l'IEP de Paris et membre du comité d'orientation d'Europa Nova.
stephane.cosse@rte-france.com