La France peut-elle encore fabriquer ?

Par Jérome Frantz  |   |  971  mots
Copyright Reuters
Le développement industriel de notre pays passe par l'émergence d'une industrie compétitive, qui doit se confronter en permanence à ses meilleurs concurrents mondiaux et rejeter la fausse bonne solution du protectionnisme, estime Jérome Frantz, le président de la Fédération des industries mécaniques (FIM). L'heure n'est plus à des sauvetages ponctuels d'entreprises déjà malheureusement condamnées, mais à des décisions de grande ampleur, estime-t-il.

Voltaire, en 1764, écrivait : « Les Français arrivent tard à tout, mais enfin ils arrivent ». Le réveil très récent de nos hommes politiques à l'idée que notre industrie tient une place majeure dans notre économie ne peut que réjouir le monde industriel. Si le thème "Produire en France" s'est invité dans la campagne présidentielle, sans doute est-ce enfin le résultat de notre persévérance à répéter sans cesse depuis trente ans qu'ils se trompent en délaissant notre industrie.

Nous réjouir ? Bien sûr, mais à condition que le débat ne se transforme pas en un concours du "plus patriote" qui conduirait à nous replier sur nous-mêmes, alors qu'aujourd'hui, notre terrain de jeu, c'est l'Europe. Comment imaginer que notre pays, moteur de l'Union Européenne, puisse se faire le chantre d'un "fabriquons et achetons français" circonscrit aux frontières de l'Hexagone ? Nous, industriels de la mécanique, savons fort bien que les vrais enjeux se situent d'abord au niveau européen et international.

Ensuite parce que le développement industriel de notre pays passe par l'émergence d'une industrie compétitive, qui doit donc pouvoir se confronter en permanence à ses meilleurs concurrents mondiaux et non pas par la fausse bonne solutiondu protectionnisme. Ce n'est certainement pas en nous barricadant chez nous que nous rendrons notre industrie plus performante. Il ne saurait être question d'imposer le "fabriquons français" à coup de lois et de réglementations, mais plutôt devons-nous donner envie de concevoir et de produire en France et nous avons pour cela de sérieux atouts.

Un savoir-faire historique

La France dispose d'une tradition et d'une culture industrielles très ancrées, même si elles ont été un peu malmenées ces dernières années. Nous sommes, dans l'âme, des transformateurs de matière, des découvreurs passionnés, des apporteurs de solutions. Le TGV, le nucléaire, la puce électronique, mais aussi Ariane ou Airbus, ... autant de réussites (souvent partagées avec nos amis européens), fruits de ce que l'on peut encore appeler le "génie français". Ce génie souvent porté par des grands groupes est aussi le fruit de notre tissu de PMI qui regorge d'entrepreneurs inventifs. Nos ingénieurs sont considérés parmi les plus créatifs au monde. Nos produits sont réalisés par des ouvriers de grande qualité, sans aucun doute parmi les plus productifs de laplanète. Je pense particulièrement à toutes les femmes et les hommes qui travaillent dans la mécanique et qui sont animés par la passion et l'amour de leur métier. Notre industrie a su parfaitement intégrer ces valeurs qui font sa noblesse et expliquent probablement que nous soyons encore malgré les crises successives au sixième rang des industries mécaniques mondiales. Ce n'est pas un hasard si, dans la mécanique de précision ou dans la machine textile, les chinois ou les indiens achètent des produits fabriqués en France : c'est tout simplement leur meilleure assurance qualité.

Manque d'attractivité des métiers de l'industrie

Pour toutes ces raisons, l'industrie française a un bel avenir devant elle. Mais à condition de régler des problèmes qui depuis trente ans n'ont cessé de s'aggraver. D'une part, le manque d'attractivité de nos métiers. Ce qui fait la passion des hommes et des femmes de l'industrie, ce qui fait vivre notre « génie français » risque de disparaitre si nous ne parvenons pas à faire revenir nos enfants vers nos métiers. A les convaincre que leur avenir est avec nous, dans des filières qui, contrairement aux idées reçues, créent et génèrent de l'emploi (40.000 emplois par an dans la mécanique ces cinq prochaines années).

D'autre part, nos PMI souffrent chaque jour un peu plus d'un environnement qui les contraint, les étouffe. Le poids disproportionné des charges qui pèsent sur nos entreprises, nos entrepreneurs, nos salariés, nous pénalise beaucoup trop par rapport à tous nos grands concurrents mondiaux. Les contraintes que font peser sur les entreprises le droit du travail oula réglementation environnementale, ne cessent de se renforcer dans des proportions irrationnelles qu'aucune autre industrie au monde ne connait.

Impliquer les sous-traitants

La réussite de nos grands donneurs d'ordres, souvent champions mondiaux dans leurs métiers et sur leurs marchés, se construit aussi sur les savoir-faire de leurs sous-traitants, et ils gagneraient, à l'image de leurs collègues allemands, italiens ou japonais,à les impliquer davantage dans leur stratégie, les soutenir sur les marchés à l'exportation et les aider à se développer. Non pas par solidarité, mais simplement parce que d'une plus grande richesse créée, ils seront plus riches.

Le désengagement de nos banques enfin, qui depuis le siècle des lumières finançaient l'essor des entreprises industrielles et nous ont abandonnés, dans la crise comme dans la reprise, préférant aller risquer et perdre leur argent dans les eaux tumultueuses de marchés virtuels.

Nous devons aller vite maintenant, si nous voulons redresser nos industries. Nous connaissons les maux et souvent les remèdes, l'heure n'est plus aux constats ni aux discussions partisanes stériles. L'heure n'est plus à des sauvetages ponctuels d'entreprises déjà malheureusement condamnées, mais à des décisions de grande ampleur, propres à créer un véritable choc de compétitivité, qui seules éviteront que le mal s'aggrave ou se propage à d'autres PMI. Il se fait tard et nos concurrents ne nous attendront pas.Il est encore temps de sauver ce qui fait la richesse de tous les pays tournés vers l'avenir, n'arrivons pas trop tard car dans l'industrie mondiale, bien plus qu'ailleurs, « tarde venientibus ossa » : ceux qui viennent tard à table ne trouvent plus que des os.