Pourquoi la croissance ne redémarre pas en Europe

Par Alexandre Kateb  |   |  966  mots
Alexandre Kateb. Copyright DR
Alexandre Kateb est économiste et directeur du cabinet Compétence Finance. Il est l'auteur de "Les nouvelles puissances mondiales. Pourquoi les BRIC changent le monde" (Ellipses, 2011).

Les signes de reprise se multiplient aux Etats-Unis où les derniers indicateurs montrent une nette progression de la consommation intérieure et une embellie spectaculaire du marché immobilier. Même l'achoppement des discussions sur le « fiscal cliff» (le précipice budgétaire), et la solution a minima négociée par le président Obama avec le Congrès en début d'année, n'ont pas eu raison de l'optimisme des analystes et des marchés sur les perspectives de l'économie US. Cette embellie conjoncturelle est portée par une renaissance de l'industrie manufacturière américaine, illustrée par les relocalisations d'usines et portée par une accélération de l'innovation qui ne concerne pas seulement, loin s'en faut, la Silicon Valley. Sans oublier l'engouement autour du gaz et du pétrole de schiste qui pourraient faire des Etats-Unis un exportateur net d'hydrocarbures à l'horizon 2025.

En Chine aussi, on observe des signes de reprise même si les statistiques chinoises sont plus sujettes à caution, compte tenu de l' « ingénierie de la croissance » que les autorités locales et nationales ont l'habitude de pratiquer afin de lisser les chocs conjoncturels et d'afficher un profil de croissance qui correspond peu ou prou aux objectifs fixés par le plan quinquennal. Quoi qu'il en soit, le problème structurel en Chine n'est pas le manque de croissance mais plutôt le caractère déséquilibré de cette dernière, qui repose encore trop sur ses deux piliers traditionnels que sont les exportations manufacturières et l'investissement dans le logement et les infrastructures. Face à ces signes encourageants ailleurs dans le monde, il est vain de chercher en Europe de quoi se réjouir. Le Vieux continent souffre toujours selon nous d'une combinaison de trois facteurs qui handicapent sérieusement toute reprise réelle de l'économie.

Le premier problème, souligné par le FMI qui a multiplié récemment les avertissements en ce sens par la voie de sa directrice générale, Christine Lagarde, est bien sûr l'impact des politiques d'austérité et de rigueur budgétaires dans la zone euro. Le FMI a beau faire son mea culpa et affirmer que ces politiques d'austérité ne marchent pas, ces alertes du grand argentier mondial sont accueillies avec la plus froide indifférence par Berlin qui tient les cordons de la bourse dans la zone euro. On préfère pratiquer la déflation, semble-t-il plus par idéologie que par réelle conviction. C'est la théorie de la «menace crédible» qui a les faveurs de Berlin - on ne s'écarte pas des objectifs qu'on s'est soi-même fixés pour ne pas obérer sa crédibilité auprès des marchés - au risque de voir cette crédibilité disparaître in fine en raison de l'obstination dans l'erreur.

Le second problème est celui de la mauvaise transmission de la politique monétaire en dépit de conditions monétaires plus que favorables et des dizaines de milliards d'euros qui ont été dépensés pour sauver des banques qui affichent aujourd'hui à nouveau des résultats très positifs. Une manière de le constater consiste à voir le rythme de croissance de l'agrégat monétaire M3 dans la zone euro, qui ne s'est toujours pas remis de sa chute spectaculaire entre 2008 et 2010. Cela est dû en grande partie aux normes Bâle III imposées au plus mauvais moment possible, en phase de convalescence de l'économie après une crise financière de grande ampleur. Le désendettement des banques et l'augmentation des exigences en capital peuvent certes apparaître comme des objectifs louables - bien qu'on puisse questionner, à l'instar d'Andrew Haldane, l'entêtement à mettre en oeuvre des régulations ultra-complexes et finalement assez peu efficaces - mais le timing est plus que mal choisi pour le faire. Le résultat est que toutes les activités gourmandes en fonds propres, ou perçues comme telles, comme le crédit à l'export, le financement de projets ou les prêts aux collectivités locales sont au point mort.

Le troisième problème enfin est celui d'une surévaluation de l'euro dans ce qui est, inutile de se voiler la face, une véritable guerre des monnaies engagée au niveau mondial, par la politique d'assouplissement quantitatif de la Reserve Fédérale et désormais de la Banque du Japon, qui vient de lui emboîter le pas sous les injonctions plus que pressantes du nouveau gouvernement de Shinzo Abe. Il est facile de voir le lien entre l'appréciation de l'euro et les difficultés à l'export des groupes industriels européens qui n'ont pas délocalisé une partie de leur production en zone dollar. Bien sûr, l'appréciation de l'euro n'est pas l'unique variable qui influe sur la compétitivité des produits européens mais dans une conjoncture où chaque dixième de point de croissance compte, c'est un élément non négligeable.

On le voit, l'Europe essaye péniblement d'avancer avec les boulets qu'elle s'est elle-même mise aux pieds, afin de paraître plus vertueuse vis-à-vis de ces partenaires et des marchés financiers. On aurait tort de prêter à ces derniers une quelconque attitude de soutien ou de commisération. Pour les investisseurs, ce qui compte en définitive ce sont les résultats c'est-à-dire la croissance retrouvée, et non l'affichage d'une quelconque fidélité à une règle, qui serait vouée tôt ou tard à l'échec. On atteint là une des limites de la transparence et de la vertu car, en économie comme en amour, il n'y a pas d'intentions il n'y a que des preuves.

Retrouvez le blog d'Alexandre Kateb, "Nouveaux mondes, nouvelles puissances".