Financement : non, le crowdfunding n'est pas un gadget

Par Bernard Cohen-Hadad  |   |  957  mots
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L'épargne financière des Français, 3 600 milliards d'euros, est abondante. Mais relativement stérile pour notre économie. Faisons donc preuve de responsabilité et d'inventivité. Lâchons la bride réglementaire aux entreprises moyennes et encourageons la finance participative ou "crowdfunding". Une tribune de Bernard Cohen-Hadad, président du think tank Etienne Marcel et président de la commission financement des entreprises de la CGPME.

Le rapport Berger-Lefebvre sur l'épargne des Français vient, paradoxalement, en pleine crise politique de confiance et de sinistrose économique. Une déception: le débat indispensable sur l'épargne financière est remis à l'automne. On voit bien la difficulté de man?uvrer et de prioriser quand il s'agit de financer les PME. Alors qu'il ne faut pas tarder pour réconcilier les Français avec leurs entreprises, valoriser l'actionnariat populaire dans l'économie et tisser de nouveaux liens de cohésion sociale, ce n'est pas l'attentisme qui améliorera le moral des entrepreneurs. 92 % des chefs d'entreprises sont inquiets pour l'économie française et 30% des chefs d'entreprises rencontrent des difficultés de financement ou de trésorerie, selon le baromètre CGPME-KPMG de mars 2013. Mais tout cela semble devenu normal ou presque. Il faut donc réagir et il y a même urgence.

L'épargne est mal orientée vers le financement des entreprises moyennes

Le paysage de l'épargne est pourtant rose. Toutes les analyses relèvent que l'épargne financière des français, 3 600 milliards d'euros, est abondante. Mais relativement stérile pour notre économie et l'amorce de la croissance. Elle est mal orientée vers le financement des entreprises moyennes, celles qui créent de la richesse sur les territoires et de l'emploi. Que ce soit en capitaux ou en instruments de dette. La faute aux banques ou aux assureurs ? La désintermédiation bancaire annoncée qui « s'accélère » en Europe est cependant loin d'un inversement de tendance puisque le crédit bancaire aux entreprises représente 90 % du PIB de la zone. Alors qu'il n'atteint que 15 % du PIB aux Etats-Unis. Doit-on se résigner ou désespérer ? Ni l'un ni l'autre mais sortons de l'immobilisme et du conformisme économique. C'est justement dans les périodes bloquées, ou les marges fiscales sont tenues, que les entreprises moyennes sont des locomotives. Elles ont besoin de plus de liberté d'entreprendre et d'améliorer leur niveau de fonds propres. Faisons donc preuve de responsabilité et d'inventivité. Lâchons la bride réglementaire et encourageons la finance participative ou "crowdfunding".

« Le financement par la foule » est déjà fortement développé outre-Atlantique

Ce n'est pas gagné car pour beaucoup d'entrepreneurs et d'investisseurs, c'est très nouveau. Cela change du financement public et des financements privés traditionnels. En réalité, ce n'est pas très compliqué. D'autant que « le financement par la foule » est déjà fortement développé outre atlantique. Tout simplement, il s'agit pour des investisseurs particuliers de participer au capital des entreprises, c'est-à-dire d'abonder aux fonds propres des PME dont le projet a été publié sur un site internet spécialisé. On n'investit pas vraiment en direct mais quasiment et une multitude de petits tickets grâce à la conjugaison de plusieurs attentes : l'attrait du web, l'investissement personnel, l'utilisation responsable de l'épargne et l'accompagnement d'un projet entrepreneurial qui peut ou non être de proximité. Une mini révolution dans le financement privé des PME. Pour l'instant, en France, c'est moins de 6 millions d'euros d'investissements dans les entreprises. Une petite goutte d'eau. Mais de l'eau, tout de même, en cette période d'assèchements des sources de crédit classiques. C'est pourquoi il faut développer le crowdfunding et bâtir un environnement sécurisé pour tous, entreprises et particuliers.

De nouveaux espaces s'ouvrent aux PME

En effet, nos PME sont actuellement sous-capitalisées, elles manquent de fonds propres. Ce qui freine leur développement, rend difficile l'accès aux financements bancaires et donc à la conquête commerciale. Tenus par les ratios internes et prudentiels les établissements financiers limitent la prise de risque. L'épargne réglementée et l'assurance-vie, compte tenu des niveaux de collecte ne jouent pas le rôle que l'on attend d'elles dans le financement des entreprises patrimoniales. L'épargne financière doit faire son aggiornamento et mieux inclure dans sa « communauté d'investissement » les entreprises moyennes. Quant au marché obligataire, la titrisation ou la Bourse des PME, point n'est besoin d'espérer pour entreprendre...

Pour ces raisons, le développement rapide des technologies de l'information, le développement du commerce en ligne, la multiplication des portails web, la force des réseaux sociaux, la présence du numérique dans tous les domaines de notre vie quotidienne montrent que de nouveaux espaces s'ouvrent aux PME. Et les PME ne doivent pas passer à côté de cette mini-révolution qui touche l'accès au financement. Encore faut-il les y aider, et préparer les entreprises à cette nouvelle approche tout en acceptant de revoir les mesures réglementaires actuellement inadaptées. Tout d'abord protéger efficacement les investisseurs et les entrepreneurs par un faisceau d'accès à l'information. Les uns doivent investir en toute liberté et en toute connaissance de cause; les autres bénéficier de vraies conditions équitables de présentation de leurs projets sur les plateformes et d'une juste protection de leurs données sensibles face à la concurrence.

Tout doit se faire dans la transparence des revenus et des coûts réels

Ensuite, les sites de crowdfunding doivent avoir la capacité de faire appel à plus d'investisseurs. Les 150 demandes d'informations tolérées par la réglementation actuelles limitent l'effet de levier et font que les projets ne trouvent qu'un cercle restreint d'investisseurs, en moyenne vingt à trente. Les entrepreneurs attendent plus. Enfin, tout doit se faire dans la transparence des revenus, des coûts réels et des commissions qui rémunèrent, in fine, les plateformes tant pour les particuliers que pour les entrepreneurs. A défaut d'un engagement éthique fort partagé par tous les acteurs, le financement par la foule ne fera pas recette et ne séduira que les investisseurs militants.