La loi ratée sur la transparence de la vie publique : une double erreur de gouvernance ?

Par Emmanuel Zenou*  |   |  717  mots
Emmanuel Zenou (DR)
Mardi dernier, les députés votaient dans l'hémicycle l'article phare du projet de loi sur la transparence de la vie publique, qui oblige les parlementaires à publier leur patrimoine en préfecture. Pour l'enseignant-chercheur en finance Emmanuel Zenou, le projet de loi ne va pas assez loin pour servir d'exemple, notamment aux entreprises....

Le compromis qui semble émerger sur le projet de loi de transparence de la vie publique ne porte pas seulement le risque de décevoir ceux qui en attendaient un vrai progrès dans la transparence. Sa lecture à travers le prisme des débats et des problématiques des théories de la gouvernance fait aussi apparaitre une double erreur, et parfois de faux prétextes.

Une exposition excessive de données personnelles?
Concernant la transparence sur les patrimoines, les députés ont en effet décidé en commission qu'il s'agirait d'une seule consultation sur demande, et non publiable (en prévoyant même des condamnations pour toute publication, même partielle), contrairement à ce que souhaitait François Hollande. L'exercice par les élus d'une autre profession est, quant à lui, finalement exonéré de toute interdiction quelle que soit la profession, y compris celle d'avocat d'affaires.

Bien que placées sur un terrain différent, celui des entreprises, les réflexions en gouvernance d'entreprise offrent pourtant une grille de lecture utile de plusieurs des arguments utilisés par certains détracteurs de ce projet de loi. Notons qu'en la matière les débats ont fait rage également dans les conseils d'administration et les assemblées générales d'actionnaires, pour questionner l'intérêt de publier la rémunération des administrateurs, leurs métiers, leur parcours, leurs autres mandats... et, ici aussi, certains ont parfois pointé une exposition excessive de données personnelles.

Transparence réclamée dans l'entreprise et dans la vie politique
Prenons la critique de la transparence. Alimente-t-elle, comme le craint par exemple Claude Bartolone dans une récente déclaration, une dérive populiste ? Donne-t-elle le sentiment que l'on condamne les élus a priori ? Cette critique oublie que l'absence de transparence génère encore bien davantage soupçons et fausses révélations. En matière de gouvernance d'entreprise, la transparence accrue des rémunérations et du fonctionnement des conseils d'administration est pourtant réclamée, y compris à l'assemblée nationale, et on entend beaucoup moins l'argument de la « dérive ».

On considère en effet tout simplement que les diverses « parties prenantes », actionnaires comme salariés qui la réclament, investissent leur capital humain ou financier, et ont le droit de vérifier que les structures de contrôle fonctionnent et d'examiner leur composition. Aujourd'hui, toutes les organisations ou institutions convergent dans ce sens (voir par exemple la déclaration récente du Président de l'AMF (Autorité des marchés financiers) qui se dit favorable à un système de "Say on Pay" dans les entreprises cotées), et l'argument d'une transparence « qui condamne avant de juger » est maintenant totalement dépassé. L'autre écueil concerne l'exercice d'autres professions qui pourraient porter des risques de conflits d'intérêts. Est-ce un droit de regard excessif que de limiter le cumul de certaines professions avec des statuts d'élus ?

Le danger de l'absence de limitation dans le cumul des fonctions
L'affaire Enron avait pourtant montré tout le danger qu'il y a à ne pas limiter le cumul d'une fonction de contrôle avec notamment une activité de conseil : peut-on en même temps être payé pour conseiller une entreprise sur sa stratégie et être chargé d'en assurer le contrôle et la surveillance des comptes ? C'est ainsi que la notion d'indépendance des administrateurs, et aussi notamment des membres du comité d'audit, fait maintenant l'unanimité dans les codes de gouvernance.

Si le cumul des mandats d'administrateurs est limité à 5 par la loi, c'est aussi pour préserver le temps dédié à la fonction de contrôle par rapport aux autres activités, et pour tenter d'en garantir l'objectivité. Les scandales apparus en gouvernance d'entreprise n'ont fait que renforcer cette exigence, quitte à juger que ça n'allait pas encore assez loin, et le droit de regard sur les activités professionnelles de ceux qui contrôlent et gouvernent n'est pas perçu comme un excès.  Après le scandale autour de Jérome Cahuzac, l'attente de transparence est trop forte pour que nos gouvernants élus par les citoyens s'exonèrent des leçons issues des réflexions et débats de la gouvernance d'entreprise.

*Emmanuel Zenou est enseignant-chercheur en finance et membre de la Chaire en gouvernance d'entreprise du Groupe ESC Dijon-Bourgogne