La vente de médicaments à l’unité ? Une thérapie constestable

Par Céline Soulas  |   |  628  mots
Céline Soulas, professeur associée en Economie de la Santé au Groupe ESC Dijon-Bourgogne, juge que la politique du médicament en France est constituée de mesures souvent contradictoires | DR
Éviter le gaspillage de médicaments et réduire ainsi le déficit de la Sécurité Sociale : ce serait l'objectif de la vente de médicaments à l'unité. Mais Céline Soulas, professeur associée en Economie de la Santé au Groupe ESC Dijon-Bourgogne, n'y croit pas vraiment...

La vente de médicaments à l'unité« pour lutter contre le gaspillage et l'automédication »est l'une des mesures phares du nouveau Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS). Annoncée jeudi 26 septembre par la Ministre de la santé, cette mesure-test reçoit un accueil mitigé de la part des professionnels du secteur.

 A l'heure actuelle, il n'y a pas d'études scientifiques démontrant le lien de causalité entre conditionnement des médicaments et surconsommation pharmaceutique. Bien que les faits démontrent que « chaque français dispose d'1,5 kg de médicaments dans son armoire à pharmacie », le raccourci est un peu rapide.

La vente en vrac ne garantit pas la maîtrise de la consommation

D'autres facteurs, démontrés ceux-là, existent pour expliquer ce gaspillage dans nos armoires, parmi lesquels la mauvaise observance des traitements, l'inadaptation et l'excès des prescriptions. Combien d'entre nous ont arrêté un traitement en cours de route car ils se sentaient mieux ? Combien d'entre nous considèrent qu'une consultation médicale doit forcément se solder par une prescription médicamenteuse ?

Dans les pays où la « vente en vrac » est autorisée (États-Unis et Canada par exemple), il n'y a pas non-plus de démonstrations prouvant une meilleure maîtrise de la consommation de médicaments.

La pertinence de la mesure resterait donc à prouver, et si certains médicaments ont à l'évidence des conditionnements peu adaptés à leur utilisation, la stigmatisation de ces pratiques « de volumes » n'apparaît pas comme une réponse opportune.

 Le conditionnement protège la santé publique

 Le conditionnement n'est pas seulement le contenant immédiat du produit (conditionnement primaire). Il englobe la boîte en carton renfermant un flacon ou une plaquette, un dispositif de préparation et une notice (conditionnement secondaire).

 Le conditionnement fait partie des critères d'Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) d'un médicament délivrée par les autorités publiques, à côté des critères d'indications, de posologie et de durée du traitement et bien entendu d'études cliniques, toxicologiques… L'adéquation nécessaire entre ces critères constitue une garantie de protection de la santé publique.

Patients et praticiens trouvent le packaging utile

 C'est ainsi un élément fondamental de la balance bénéfices-risques des médicaments, un déterminant de son bon usage et de la prévention des erreurs. Il est indispensable à la qualité et la sécurité des soins en tant que support essentiel d'information pour le patient et les professionnels de santé.

 Parmi les entreprises qui on fait du conditionnement (secondaire) de leurs produits une marque de fabrique, il y a entre autres Biogaran, laboratoire de génériques, qui se distingue par des indications claires, des dosages bien différenciés et des zones de conseil spécifique à chaque spécialité. Si cela peut être assimilé à du marketing, il n'empêche que les patients et les praticiens reconnaissent pour la plupart l'utilité de ce « packaging » sous forme de signalétique.

 Le conditionnement à l'unité pour lutter contre l'automédication ?

 Par ailleurs, l'un des arguments avancés pour tester la mesure de vente des médicaments « en vrac » est la lutte contre l'automédication. N'est-ce pas paradoxal ? Nous venons en effet d'adopter, en juin dernier, la loi autorisant la vente de médicaments en ligne. Les patients vont pouvoir commander quelque 2000 produits pharmaceutiques OTC, c'est-à-dire sans prescription médicale.

 La création d'un marché de l'e-santé, accompagnée des diverses mesures de déremboursements, ne peut-elle faire craindre elle aussi de mauvaises pratiques d'automédication, au même titre que les conditionnements jugés inadaptés ?

 La politique du médicament en France demeure décidément au cœur de débats et de mesures souvent contradictoires.