Leonarda ou les ravages d'un emballement médiatique

Par Florian Silnicki  |   |  665  mots
Pour Florian Silnicki, l'emballement des médias autour de l'affaire Léonarda révèle un journalisme teinté de consumérisme frénétique et compulsif. | REUTERS
L'affaire Leonarda a donné lieu à un emballement médiatique sidérant. Au point de mettre sur un même plan la jeune kosovare et le chef de l'Etat. Un véritable crash médiatique pour l'Elysée. Par Florian Silnicki, expert en stratégies d'informations, gestion de la réputation et de crises digitales

 Une information diffusée sur le blog d'éducation sans frontières hébergé par Mediapart reprise par le parti de gauche, puis publiée dans une dépêche par l'AFP. Et c'est le vaudeville étatique.

 L'affaire Léonarda débouche aujourd'hui sur une image présidentielle à la fois désastreuse et prévisible faisant évoquer à l'AFP "un tournant du quinquennat". Comment le ratage d'une communication peut-elle avoir de telles conséquences politiques ?

 Un emballement des médias

Cette affaire qui a donné lieu a d'étonnantes images mettant en scène par caméras interposées un affrontement entre la parole du Président de la République, François Hollande, et celle d'une enfant étranger expulsé de 15 ans sans merci a aboutit à affecter la communication publique de la cinquième  puissance du monde. Les médias n'ont-ils pas cédé, une fois encore, à un emballement excessif ?

Ils fonctionnent en 2013 par engouements successifs. Léonarda n'en est qu'un parmi d'autres. Les médias ont semblé entamer une course à l'échalote usant de tous les stratagèmes pour obtenir une nouvelle parole de cette jeune étrangère nourrissant une séquence médiatique aussi furieuse qu'éphémère…

 Quelle crédibilité?

Ils lui ont fait rabâcher de caméra en caméra, d'interview en interview ses prises de position. Imagine-t-on un seul instant un chef d'entreprise ou un homme politique ainsi pressé ? Jamais, sauf dans un état paranormal, un homme ou une femme exercant des responsabilités n'aurait accepté de répondre à autant de médias sans avoir des messages préparés (des éléments de langage) à l'avance avec des conseillers, etc…  Comment l'accepter d'une jeune fille de 15 ans ? Quelle crédibilité accordée à une parole recueillie dans ces conditions ?

 Absence de recul critique

Ils l'ont starifiée. Ils l'ont "peoplisée". Ils ont amplifié, souvent au mépris de l'information. Ils ont livré sa parole brute et sans analyse pertinente au téléspectateur. Ils ont abandonné à tort tout recul critique et toute analyse. Les journalistes en ont-ils trop fait, au prétexte que le sujet est dans l'air du temps ? Les journalistes n'ont-ils été que le reflet de notre société devenue une société de consommateurs médiatiques compulsifs ?

 Un rouleau compresseur d'images choc

Chacun des médias présents cherchait alors une parole ou une image scotchant ses auditeurs à l'écran. A l'image, les journalistes ne semblaient même plus guidé par l'importance de l'événement. Seul le poids des images rapportées par les envoyés spéciaux comptait. La crainte d'être devancé par la concurrence peut-elle à elle-seule justifier l'alimentation en continue de ce rouleau compresseur des images choc ?

 Est-ce l'impact de la pression de plus en plus forte venant des chaînes d'information en continu ? A la veille des vacances scolaires, les journalistes étaient-ils avides de sujets pour remplir leurs journaux, donnant à ce fait divers une place disproportionnée ?

 Si nous devions retenir qu'une chose, ne devrait-ce pas être l'incapacité théâtrale de l'État à se montrer à la hauteur de la situation ? Quelle image le monde aura-t-il désormais de la parole présidentielle et de l'État que le Président de la République incarne ?

Un vrai crash médiatique

Comment les "spins doctors" du Président de la République n'ont-ils pas pu empêcher qu'il se prenne ainsi les pieds dans le tapis ? Reconnaissons à ces "conseillers de l'ombre", qu'ils ont particulièrement réussi leur crash médiatique et cette séquence non maitrisée. L'intervention du Président de la République n'aura pas lifté l'opinion, elle l'aura encore moins infléchie. Elle n'aura même pas su donner un autre éclairage à la séquence médiatique. C'est dire si l'échec est cuisant.

 Après tout, expulser vers le Kosovo une mineure vivant en France et dont le père affirme en fait qu'elle est italienne, c'est là un exercice de communication qui semble particulièrement compliqué…