Il y a trente ans, la France aurait dévalué sans hésiter

Par Patrick Artus  |   |  938  mots
Patrick Artus, comme Arnaud Montebourg, prône la dévaluation de la monnaie unique pour sortir de la crise. | DR
Les reformes fiscales mises en œuvre ne sont pas à la hauteur du problème de compétitivité de l'industrie française. Seule une dévaluation -évidemment impossible aujourd'hui- permettrait de la rétablir... Par Patrick Artus, directeur des études économiques de Natixis

Le cœur des problèmes structurels de l'économie française est maintenant bien connu : il s'agit de la faiblesse de la profitabilité des entreprises. Les profits nets des entreprises représentent en 2013 6% du Produit Intérieur Brut, contre plus de 9% en Allemagne et au Royaume-Uni, 16% en Espagne, 8% en Italie, 13% aux Etats-Unis, 11% au Japon. Pour que les profits des entreprises françaises reviennent aujourd'hui au niveau de la moyenne des pays de l'OCDE, il faudrait qu'ils soient accrus de 110 milliards d'euros.

 Une faible rentabilité du capital

La situation est encore pire si on regarde non pas les profits en pourcentage du PIB mais la rentabilité du capital physique (pas financier) mis en œuvre par les entreprises: elle est en 2013 de 7% en France, contre 9% en Italie, 11% en Allemagne, 12% en Espagne, 15% au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Ramener la rentabilité du capital investi (physiquement : les biens d'équipement, les bâtiments) au niveau moyen de l'OCDE imposerait aujourd'hui d'accroître les profits des entreprises françaises (avant intérêts et dividendes) de 170 milliards d'euros !

 Des difficultés concentrées dans l'industrie

Les difficultés se concentrent dans l'industrie: alors que, depuis 2000, le coût salarial par unité produite a crû de 12% dans l'industrie française, ses prix de vente ont baissé de 7%. La baisse des prix a été rendue nécessaire par le fait que les produits industriels français sont en milieu de gamme, et que les entreprises industrielles françaises sont en concurrence avec celles des pays à coûts salariaux beaucoup plus faibles que la France : pays émergents, mais maintenant aussi Espagne (où on paye une heure de travail dans l'industrie charges sociales comprises 22 euros au lieu de 36,5 euros en France).

 Un véritable cercle vicieux de la faible profitabilité

Pour ramener les marges bénéficiaires de l'industrie française à leur niveau de 2000, il faudrait qu'elles augmentent en 2013 de 50 milliards d'euros. La faiblesse de la profitabilité, de la rentabilité du capital, des marges bénéficiaires de l'industrie génère un cercle vicieux: elle réduit les possibilités d'investissement et l'attractivité de la France, donc elle ralentit la modernisation du capital ; la productivité par tête n'augmente que de 0,7% par an en France, ce qui dégrade encore plus la rentabilité des entreprises.

 En 1980, on aurait dévalué sans hésiter

Qu'aurait-on fait dans ces situations dans les années 1970 ou 1980 ? Sans hésitation on aurait dévalué le franc. La dévaluation permet aux entreprises qui n'ont pas de problème de profitabilité de baisser leurs prix en devises, de devenir plus compétitives et de gagner des parts de marché ; aux entreprises qui ont un problème de profitabilité de maintenir leurs prix en devises, d'accroître leurs prix en monnaie nationale et leurs marges bénéficiaires.

 20% de dévaluation, et la profitabilité des entreprises serait rétablie

Supposons aujourd'hui une dévaluation de 20% du « franc » par rapport à toutes les devises. Supposons qu'elle serve seulement à accroître les marges bénéficiaires. Les exportations de biens et services de la France représentent 560 milliards d'euros par an. Si les prix des exportations (en « francs ») augmentent de 20%, les mages des exportateurs augmentent de 110 milliards d'euros, exactement le montant nécessaire, comme on l'a vu plus haut, pour ramener la profitabilité des entreprises à son niveau élevé de 2000. Dans les années 1970 ou 1980, la France, confrontée aux mêmes problèmes qu'aujourd'hui, aurait dévalué de 20%.

 La dévaluation interne n'est pas un substitut, en France

Mais on ne peut pas dévaluer, et et la recommandation alors faite aux pays de la zone euro est d'utiliser une « dévaluation interne » : une baisse du coût du travail qui se substitue à la dévaluation véritable qui ne peut pas être pratiquée, et qui, comme elle, améliore la compétitivité ou la profitabilité.

Des dévaluations internes sont apparues depuis 2009 en Grèce (baisse du coût unitaire du travail de 30%), en Espagne (baisse du coût unitaire du travail de 17%) en Irlande, au Portugal ; rien de tel n'apparaît en France, en raison essentiellement du fonctionnement du marché du travail. Même dans les périodes très difficiles, il est impossible qu'il y ait baisse des salaires en France, et les gains de productivité restent très faibles. Dans le cas de la France, les dévaluations internes ne sont pas un substitut aux dévaluations véritables.

 Des réformes fiscales totalement insuffisantes

Il reste alors les réformes fiscales, mais elles ne peuvent pas être à la hauteur du problème. On suggère souvent en France la « TVA sociale » : substituer la TVA aux cotisations sociales des entreprises pour financer la protection sociale. On pourrait, au maximum, passer en France le taux normal de TVA de 20% à 25% ; ceci permettrait de réduire de 35 milliards d'euros les cotisations sociales des entreprises : un tiers seulement du montant nécessaire à restaurer la profitabilité avec une modification considérable du système fiscal.

 Baisser franchement les cotisations sociales

Si on ne peut plus dévaluer le franc, si on ne peut pas baisser le coût du travail en France, si les réformes fiscales ne sont pas à la hauteur du problème de profitabilité, il ne reste que deux solutions. Soit ne rien faire, laisser les entreprises françaises sous-investir et perdre des parts de marché, laisser le capital partir vers des pays où sa rentabilité est plus élevée ; soit démarrer un plan déterminé de réduction des dépenses publiques en utilisant, chaque année, la baisse des dépenses pour réduire les cotisations sociales des entreprises.