Ryanair traite un peu mieux ses clients... mais n'est-ce pas trop tard ?

Par Roman Bernier  |   |  1005  mots
Ryanair veut désormais soigner son image et chérir le client. Mais ces changements ont été davantage le fruit des circonstances et de profits en berne... | REUTERS
La compagnie aérienne change de discours à l'égard de sa clientèle. Mais elle le fait sous la contrainte, et un peu tard, alors que les profits baissent. Par Roman Bernier, blogueur, spécialiste du low cost.

 

En 1992, le jeune protégé et conseiller spécial de Tony Ryan, Michael O'Leary, se rendait à Dallas dans l'espoir de percer les secrets du modèle florissant de la pimpante Southwest qui, en l'espace d'une décennie, avait mis ses concurrents à genoux. Dans les années qui suivirent, l'entreprise déficitaire qu'était Ryanair connut une métamorphose radicale.

Aujourd'hui, plus de vingt ans après, après une nouvelle alerte sur ses profits, il semble que la compagnie aérienne la plus florissante d'Europe soit amenée à revivre des moments similaires.

 

Un petit pas pour l'homme, un grand pour Ryanair…

L'annonce a été un choc pour la presse : Ryanair veut désormais soigner son image et chérir le client. Inespérée, cette nouvelle orientation a eu dès lors un impact médiatique disproportionné. Certains ont parlé peut-être trop vite de volte-face, alors que cette décision est le fruit de nombreux coups de rabot portés aux modèles depuis un peu plus d'un an.

Acculée, Ryanair fait ce que toute compagnie aérienne classique fait depuis longtemps : respecter le client. Il est moins question ici d'une révolution que d'une mise à niveau longtemps attendue.

Toujours est-il que la déclaration surprend. Après les tirades de Michael O'Leary invitant sobrement le client à « aller se faire f***** », clamant que « personne ne veut s'asseoir à côté d'un gros » ou décrivant bonnement une passagère comme une « tarée », l'annonce d'une fin des hostilités donne l'impression qu'une étape a été franchie. Il s'agit là d'une semi-vérité.

Oui, le transporteur irlandais pose le premier jalon d'un changement de façon de communiquer. Oui, il semble qu'une baisse des charges, temporaires, soit à l'ordre du jour.

Mais non, ce développement du digital n'est pas soudain : il a été entamé depuis longtemps, bien qu'à contrecœur. Et non, il ne s'agit pas d'une métamorphose stricto sensu, tant l'absence de changements structurels est criante.

 

Des annonces à relativiser : quand les circonstances forcent la main à la compagnie

Outre la communication, Ryanair souhaite être plus à l'écoute de ses clients. Ainsi, la compagnie a décidé qu'elle autoriserait un sac supplémentaire au passager, équivalent par sa taille à un sac à main de femme. Pour toute personne étrangère aux pratiques de la compagnie, cette annonce donne l'impression que le transporteur lui fait la grâce d'un bagage surnuméraire. Que nenni. En réalité, par le passé, les femmes qui voyageaient avec Ryanair se voyaient dans l'obligation de choisir entre leur bagage à main et leur sac.

L'un des deux étaient par la suite envoyé en soute, était facturé 60 à 80 euros selon que l'on soit en basse ou en haute saison. Une pratique abusive de la compagnie qui décide de rectifier le tir : enfin.

Des changements imposés par les circonstances

Quant à la réimpression des cartes d'embarquement en cas d'oubli, elle passe de 70 à 15 euros si le client s'est enregistré en ligne au préalable (sinon, le prix reste le même). Un cadeau ? Hélas, pas vraiment. Ryanair a en effet été condamnée en Espagne par un juge pour clauses abusives (le juge en a dénombré 8), parmi lesquelles la réimpression du billet, ce qui oblige Ryanair à mettre de l'eau dans son vin vu que l'Espagne étant sa première destination touristique. Parmi les autres clauses jugées abusives, on retrouve également le recours au droit irlandais sur le droit espagnol, le changement unilatéral des horaires de vol, mais aussi la politique d'embarquement de la compagnie (qui a refusé l'embarquement à une fillette de 2 ans… sous prétexte qu'elle n'avait pas sa carte d'identité !).

Pour éviter les esclandres, Ryanair a longtemps graissé la patte des passagers mécontents, à l'image d'un voyageur britannique qui a reçu une compensation après s'être plaint que la compagnie faisait payer des montants similaires en euros et en livres, alors que la livre était largement supérieure à l'euro.

Si ces changements sont bienvenus, il faut donc garder en mémoire qu'ils ont été mus par les circonstances, non par la volonté de plaire. Il a également été évité de remettre en cause des changements plus structurels, plus profonds, qui touchent à un modèle économique basé sur l'optimisation à tout prix.

 

Optimisation sociale, fiscale, légale… Ces mesures sur lesquelles Ryanair ne veut rien lâcher

La question du modèle économique de Ryanair est souvent traitée superficiellement. D'aucuns jugent le transporteur du point de vue du passager, ce qui amène à croire un peu rapidement que le modèle Ryanair se définissait par sa propension à tout faire payer. Celui-ci a néanmoins des racines plus profondes et plus complexes qui tiennent en un mot : optimisation. Optimisation sociale d'abord, avec une pression salariale et morale exercée sur son personnel, mais aussi optimisation fiscale, avec des manœuvres d'évasion de haute volée (rappelons qu'en Espagne, la compagnie n'a que 67 euros sur son compte, ce qui lui a permis d'éviter une amende car elle était insolvable), ou encore légale, avec une exploitation exemplaire des vides juridiques.

Un taylorisme effréné appliqué à l'aviation civile

Dans un sens, le modèle Ryanair n'est rien d'autre que l'application d'un taylorisme effréné au secteur de l'aviation civile. Jusqu'à présent, le consommateur était la quatrième branche de cette rationalisation des dépenses menée tambour battant. Face à la grogne, Ryanair s'imagine qu'en caressant le passager dans le sens du poil tout en conservant ses trois autres piliers, elle pourra renverser la tendance.

A la façon d'un gouvernement trop frileux, cette politique de la demi-mesure menée par Michael O'Leary évite d'entamer des réformes de fond alors qu'une crise systémique est à deux doigts d'exploser. A l'heure où la compagnie est obligée de revoir ses profits à la baisse pour la seconde fois en deux mois, c'est un choix risqué. A moins qu'il ne soit trop tard pour changer les choses, et que le modèle Ryanair soit, déjà, à bout de souffle.