Scandale des taux bancaires : un sénateur expose sa curieuse théorie à Bruxelles

Par Florence Autret  |   |  704  mots
Florence Autret, correspondante à Bruxelles / DR
Un honorable sénateur français s'est rendu dans la capitale belge pour exposer aux instances européennes ses inquiétudes sur la manipulation des taux interbancaires... et sa crainte que la « bonne épargne européenne » ne parte dans les caisses des autorités américaines !

On ne le sent peut-être pas à Paris, mais Bruxelles tremble. La semaine dernière, un éminent représentant de la République française est venu faire part de ses plus noires inquiétudes sur la manipulation des taux interbancaires Libor et Euribor...

Que le palais du Luxembourg se pique de régulation financière n'a pas manqué d'exciter notre curiosité.

Plus de 3,5 milliards de dollars d'amendes

Notre missus dominicus sénatorial s'inquiétait qu'« on ne parle pas du sujet en France ». Ah bon ? Les lecteurs informés ont depuis longtemps pu faire chauffer leurs calculettes : plus de 3,5 milliards de dollars d'amendes ont déjà été infligés à UBS, Rabobank, RBS et Barclays dans l'affaire du Libor par les autorités américaines.

Sur le Vieux Continent, cela traîne un peu. L'autorité européenne de la concurrence a ouvert une enquête pour fait d'entente sur l'Euribor, le taux interbancaire de référence pour la zone euro, dont le panel est actuellement géré par la Fédération européenne des banques. Le mois dernier, cependant, on apprenait que la Société générale et le Crédit agricole faisaient partie, à côté de HSBC, de Royal Bank of Scotland, de Deutsche Bank et de JP Morgan Chase, des quelques géants bancaires qui risquaient prochainement d'écoper à leur tour d'une amende de quelques centaines de millions d'euros.

De façon assez piquante, notre respecté représentant a réussi l'exploit de venir à Bruxelles sans prononcer une seule fois le nom des deux banques françaises incriminées. Pas un mot sur la gravité de la fraude qui, si elle est avérée, a spolié les investisseurs pour des milliards et des milliards d'euros. Pas un regret quant au fait que les grandes banques, y compris françaises, menacent de se retirer de l'Euribor pour faire pression sur les législateurs européens qui planchent sur un encadrement de ces taux fondamentaux. Taux que notre respecté représentant qualifie abusivement de « taux directeurs », un terme réservé à ceux fixés par les banques centrales.

Le Libor sous pavillon américain ?

À la vérité nue, notre élu préfère une espèce de théorie du complot. Sa proposition d'avis s'intitule « Des indices sous influences... une réforme sous influence ? ». Sous influence de qui ? Des A-MéRi-Cains, bien sûr. Il s'inquiète que la gestion du Libor ait été confiée à Nyse (prononcé « Nice »)-Euronext qui vient d'être racheté, nous apprend-il, par ICE (« isse ») qui n'est autre qu'une Bourse a-mé-ri-cai-ne. Ce qui pose donc problème dans cette affaire, vu du très parisien jardin du Luxembourg, c'est que la « bonne épargne européenne » parte dans les caisses des autorités américaines sous la forme d'amendes et que la gestion des taux interbancaires ne soit pas dans les mains d'institutions bien de chez nous.

« Le Libor passe sous pavillon américain », peut-on lire dans la proposition d'avis du sénateur.

La question des conflits d'intérêts entre les gestionnaires et les utilisateurs des indices est évidemment un sujet que la Commission a tenté de prendre à bras-le-corps dans sa proposition de règlement sur les indices de valeur présentée en septembre. La Banque centrale européenne teste de son côté, depuis quelques mois, la possibilité de mettre au point un taux alternatif.

Pour l'instant sans succès. Mais notre missus dominicus n'a pas l'ombre d'une suggestion à faire sur ce terrain. Il exprime surtout le regret que la supervision des indices reste entre les mains d'autorités nationales.

« Alors à quoi bon avoir créé une autorité européenne ? », se lamente-t-il, plein de bon sens. Il déplore aussi que la législation proposée « renvoie trop fréquemment à des actes délégués », en clair à des sortes de décrets d'application préparés par la Commission européenne.

Vu de Bruxelles, où le débat législatif avance tambour battant avec des dizaines d'amendements à la clé, notre envoyé spécial faisait un peu penser à un diplomate de l'époque ottomane parti à cheval des confins de l'empire et qui serait arrivé à Istanbul au moment où la guerre était déjà finie.