Données personnelles : cessons les faux procès aux géants du net

Par Olivier Babeau  |   |  791  mots
Sans utilisation des données personnelles, les géants du net ne pourraient fournir aux consommateurs une série de services gratuits, auxquels ceux-ci sont attachés. Par Olivier Babeau, professeur, Université Paris VIII

Les révélations d'Edward Snowden concernant la collecte des données personnelles sur le Net ont dévoilé les incroyables abus dont les Etats se rendent coupables sous couvert de lutte contre le terrorisme. Le plus étonnant est moins que de telles pratiques aient été possibles que l'indifférence assez grande avec laquelle elles ont été apprises (a-t-on vu des manifestations massives d'indignation ?) s'accompagnant du développement parallèle de critiques de plus en plus dures à l'encontre des grandes entreprises du Web

Une dénonciation manichéenne de certaines firmes

Cette posture paradoxale arrange sans doute des États trop heureux de faire diversion. Si la question de la vie privée est incontestablement l'une des plus brûlantes de ce début de siècle, on peut s'étonner qu'elle soit pour l'instant trop souvent traitée sous l'angle de la dénonciation manichéenne de certaines firmes. A lire certains commentateurs, ces dernières se repaîtraient de nos données comme des vampires de notre sang. Il convient pourtant de prendre conscience que le maniement des données personnelles est inhérent au fonctionnement actuel du Web et appelle avant tout une meilleure connaissance et un meilleur contrôle de la part des internautes eux-mêmes.

L'utilisation des données, une contrepartie à des services qui nous sont devenus indispensables

Il faut bien comprendre tout d'abord que l'utilisation des données collectées sur Internet est la contrepartie de ces services qui nous sont devenus indispensables et que nous utilisons chaque jour gratuitement. Les données collectées sont une condition nécessaire de la publicité sur Internet, qui est elle-même devenue indispensable à la communication des entreprises. Sans ces données, nous ne pourrions pas bénéficier d'autant de services gratuits de qualité, ni communiquer ou nous informer aussi facilement.

Une étude menée en 2010 a montré que le « surplus du consommateur » engendré par l'usage des services du Web est plus de trois fois supérieur aux revenus de ces services basés sur la publicité : en plus d'être indispensable et accepté, ce système nous bénéficie donc bien plus qu'aux entreprises. La collecte des données est loin d'être pour l'internaute le contrat de dupes que l'on se plaît à décrire : si tous ces services devaient être payants, bon nombre de consommateurs seraient exclus du marché, et bon nombre de ces services ne pourraient pas se financer.

Pas d'exploitation cynique et unilatérale

Cela ne signifie évidemment pas que la question de la protection des données personnelles ne se pose pas avec acuité, mais qu'il convient de prendre conscience qu'il ne s'agit pas d'une exploitation cynique et unilatérale que réalisent les firmes du Net avec nos données : toutes les entreprises (et pas seulement les plus grandes d'entre elles) en ont besoin pour nous fournir en échange des services qui ont une vraie valeur à nos yeux (le mail gratuit, la recherche, la comparaison des offres, etc.)

Les données collectées sont utilisées pour financer la production de services gratuits et pour réaliser un meilleur ciblage des offres, selon un principe qui existait bien avant internet. Non seulement le consommateur peut refuser les termes de l'échange (en n'ayant pas recours aux services), mais encore contrôler une bonne partie de ce qui est donné en contrepartie. Si ces agissements ont pu dans les premiers temps du Web se développer de façon sauvage, ce n'est plus le cas aujourd'hui : le détail des collectes opérées est accessible à qui veut les connaître, et de nombreux instruments sont disponibles (pour certains mis à disposition par les entreprises elles-mêmes) pour faire correspondre nos paramètres de confidentialité avec nos aspirations concernant la visibilité de nos données.

La clé de voûte de l'écosystème numérique

Les moyens et les options ne manquent : les cookies sont par exemple supprimables, voire évitables si l'on utilise la navigation privée. Bien que volontiers critiques, on remarque que les utilisateurs sont encore trop peu conscients de cette collecte qui a lieu, et en conséquence utilisent mal les moyens pour éviter de diffuser des informations qu'ils souhaiteraient garder strictement privées.

L'utilisation massive de données est la clé de voûte de l'écosystème numérique qui s'est mis en place : il ne s'agit ni de s'en réjouir ni de s'en lamenter, mais de le constater et de souligner que les consommateurs ne peuvent vouloir une gratuité réelle, c'est-à-dire sans aucune forme de contrepartie. Encore faut-il que l'échange ait lieu en pleine conscience ; c'est sans doute aujourd'hui le point sur lequel nous devons faire le plus de progrès.