Les cadres victimes d'un accord sur l'assurance-chômage injuste et inefficace

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  1096  mots
Les mesures de redressement des comptes de l'Unedic, décidées ce week-end par les partenaires sociaux, sont globalement très limitées. S'agissant des cadres, elles auront en revanche un impact non négligeable. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs à l’ESSEC

 

En 2014, l'Unedic accusera un déficit de 4,3 milliards d'euros, sa dette cumulée atteindra 22 milliards, chiffre qui pourrait grimper jusqu'à 37 milliards en 2017. Dans ce contexte, l' accord signé le 21 mars par les syndicats patronaux, la CFDT et FO, qui va générer 400 millions d'économie par an, n'est en aucun cas la réforme sérieuse dont l'Unedic a besoin.

L'absence de réforme en profondeur a toujours la même cause, le manque de courage réformiste face au pouvoir politique (c'est-à-dire le pouvoir de nuisance et de blocage) des différents groupes concernés par une réforme. La « non-réforme » se traduit par une panoplie de mesures pesant sur les groupes au pouvoir politique faible, mesures systématiquement cosmétiques au niveau de l'ampleur des déficits à combler, mais pesantes au niveau individuel pour ceux sur qui elles tombent.

 Mesures à la marge concernant les intermittents du spectacle

 L'accord du 21 mars ne fait pas exception à cette règle. Le régime des intermittents du spectacle par exemple, qui génère un milliard de déficit par an pour 255.000 cotisants, n'a fait l'objet que de mesures à la marge, ce qui est cohérent étant donné le rapport de force. En effet, les populations concernées votent massivement à gauche, les élections municipales sont imminentes et les européennes se profilent. Le gouvernement n'aurait donc pas signé un accord de réforme de ce régime et le Medef, focalisé sur son marchandage de baisse des charges de dix milliards avec le gouvernement, n'avait manifestement pas l'intention de braquer celui-ci pour un petit milliard de déficit de l'assurance chômage en plus.

Les cadres fortement mis à contribution

Les cadres au contraire, dont le régime génère 39% des recettes et 18% des dépenses, sont fortement mis à contribution dans l'accord au travers notamment de l'allongement du délai de carence. Cette mesure va permettre de racler quelques centaines de millions moyennant un certain coût social généré par le malaise et le ras-le-bol des cadres, mais avec un coût politique faible. Le calcul comptable est simple : les cadres licenciés retrouvant plus rapidement un emploi que les autres travailleurs, l'allongement du délai de carence va faire qu'un grand nombre d'entre eux ne touchera pas d'allocation s'il retrouve un travail avant les 180 jours.

 Les ruptures conventionnelles impactées

Actuellement, tout cadre qui quitte l'entreprise après un licenciement ou par rupture conventionnelle et ayant reçu une prime extra légale ne peut solliciter l'allocation de chômage qu'une fois écoulé un délai de carence d'un maximum de 75 jours. L'accord prévoit de faire passer le délai de carence maximum de 75 à 180 jours, excepté pour les licenciements économiques. Le nombre de jours de carence correspondra au montant de la prime obtenue divisé par 90. Cet allongement du délai de carence devrait notamment toucher les départs par rupture conventionnelle.

Cette forme de séparation, mise en place en 2008, apportait un peu de flexibilité dans le fonctionnement du marché du travail. Selon la DARES, en 2012 et 2013, elle concernait environ 32.0000 séparations par an et l'indemnité de départ moyenne était en 2011 de 6.600 euros. La nouvelle règle de calcul ne change donc rien, en moyenne, puisqu'avec ce montant, le délai de carence serait à 73 jours. En revanche, au-delà de 6.600 euros, ce qui est la situation de quasi tous les cadres, la nouvelle règle commence à jouer.

 Une question d'éthique

Au-delà de l'inconvénient financier de cet énième pressurage pour les cadres, cette mesure, outre injuste, nous apparaît inefficace et présentant un réel problème d'éthique.

Le Medef et les confédérations syndicales signataires s'attaquent ici à une somme censée représenter une compensation négociée entre les parties pour un préjudice dont l'entreprise accepte la charge. Il peut être vu comme le prix de la flexibilité, les entreprises pouvant « acheter le départ » d'un salarié qui n'est plus en ligne avec les objectifs de l'entreprise. Si cette compensation est annulée via une baisse des allocations chômage, cela signifie que le préjudice n'est plus compensé. Le recours à la rupture conventionnelle devrait alors diminuer. Il est à craindre que les entreprises chercheront à compenser l'accès plus difficile à la rupture conventionnelle par des licenciements pour faute professionnelle. Les cadres ainsi licenciés devront aller systématiquement devant les Prud'hommes pour faire valoir leurs droits.

 Une augmentation de la congestion des tribunaux

Cette mesure va donc, en premier lieu, augmenter la congestion des tribunaux de Prud'hommes avec des situations qui pourraient se régler à l'amiable. La baisse de qualité du service publique de justice qui en découle va diminuer le bien être collectif. En second lieu, cela aggrave la judiciarisation de l'économie et la judiciarisation des rapports humains notamment dans l'entreprise qui n'en a pas besoin. Cette tension va à l'encontre du discours officiel du Medef, que l'on retrouve dans tous les rapports trimestriels à la page RSE et qui prétend que « le cœur de l'entreprise est l'humain ».

 

Si, comme l'affirme la CFDT, cette mesure vise à dissuader l'usage abusif de la rupture conventionnelle comme préretraite masquée, il y aurait d'autres manières de régler ce problème, plutôt que d'imposer une règle qui in fine pénalisera tout le monde.

Pour améliorer les comptes de l'Unedic: lutter vraiment contre le chômage

Les problèmes financiers de l'Unedic sont la conséquence directe du problème du chômage trop élevé en France. Les réformes à mettre en œuvre sont donc celles qui pourraient permettre la baisse du chômage, dont il est largement accepté aujourd'hui, qu'il provient en grande partie de la rigidité du marché du travail et notamment d'une protection légale de l'emploi excessive.

Ni le Medef, ni la CFDT ni le gouvernement ne comptent s'attaquer à ce problème amont et trouvent plus simple de dépouiller en aval les cadres, en attendant le retour hypothétique de la croissance. Les deux syndicats en charge de la gestion de l'Unedic font donc passer manifestement leur intérêt catégoriel avant le bien commun, à savoir la flexibilisation du marché du travail, et cela se fait aux dépens d'une catégorie politiquement faible.

 Il apparait clairement que les gérants historiques de l'assurance chômage ont des incitations qui les empêchent d'assurer une gestion efficace du système. On peut donc légitimement se poser la question de savoir s'il ne vaudrait pas mieux qu'une autorité indépendante gère l'Unedic.