Dette russe : pas de panique, conservons-la !

Par Pierre Pinel & Yann Schorderet  |   |  1058  mots
Pour Yann Schorderet et Pierre Pinel, il n'y a aucune raison de se séparer de ses actifs
La crise russe a rendu frileux de nombreux investisseurs occidentaux. Pourtant, ils n'ont pas grand chose à perdre à garder leurs actifs... au contraire. Par Pierre Pinel, CIO Allocation d’actifs, et Yann Schorderet, stratège quantitatif.

Le premier trimestre de cette année a été caractérisé par l'escalade des tensions en Ukraine et la crise a fortement pesé sur les actifs russes. En monnaie locale, le rendement à l'échéance de l'emprunt gouvernemental à dix ans s'est approché de dix pour cent. De fait, la courbe des taux est presque plate dès les trois ans de maturité, à des niveaux de l'ordre de neuf pour cent. Dans l'intervalle, le rouble a continué de s'affaisser, sa valeur ayant atteint un plus bas historique contre le franc le 14 mars dernier.


Un mauvais moment pour se défaire d'un actif financier

Au paroxysme d'une crise, la tentation est grande de liquider des actifs sous pression. Pour autant que l'horizon d'investissement le permette, une crise de liquidités constitue généralement le pire moment pour se défaire d'un actif financier. L'exemple de 2008 est sur ce point intéressant, les obligations à haut rendement ayant fortement rebondi après l'année terrible de la faillite de Lehman Brothers. Écartant l'hypothèse d'une crise de solvabilité dans le cas présent, nous n'avons pas vendu.

Bien que la situation économique puisse encore se dégrader, la Russie conserve quelques atouts importants. La croissance est en décélération, mais le pays ne souffre pas d'un fort déficit de la balance des comptes courants comme c'est le cas dans certains pays en développement. Dans ce cadre, les réserves de change de la Russie sont de l'ordre de 500 milliards de dollars.


Le pire des cas, le meilleur pour les investisseurs ?

Cette position plus favorable tient notamment de la puissance énergétique de la Russie et des liens de dépendance tissés avec de nombreux pays européens. Dans le débat sur le rebalancement de l'économie mondiale né de la Grande Récession, la nécessité de rapatrier certaines activités, notamment industrielles, fait souffrir les exportations de certains pays émergents. Mais, la relocalisation de la production d'énergie est plus difficile à mettre en place. Si les américains ont choisi d'exploiter le gaz de schiste, ce n'est pas encore la mode sur le Vieux Continent.

Pour l'exercice, envisageons le scénario du pire. Les tensions s'enflamment au point de déboucher sur un conflit généralisé. Les conduits acheminant le gaz en Europe sont rompus, compromettant la marche des affaires des sociétés russes actives dans la production de matières premières. Si, dans cette éventualité, les États-Unis ont déjà suggéré l'idée de mettre à disposition du gaz extrait de l'autre côté de l'Atlantique, on peut douter que l'offre énergétique ainsi perturbée ne provoquera pas une flambée des prix. Ironie du sort, l'impact pourrait alors compenser, voire même dominer, l'effet de la baisse des volumes des ventes des sociétés dont l'activité est reliée au commerce de matières premières.

 L'Europe ne prendra pas le risque de la récession

Poursuivant le raisonnement, la rupture des voies usuelles d'acheminement d'énergie mettrait certainement à risque la croissance encore fragile de l'Europe occidentale. L'éventualité d'un pic d'inflation associé au scénario évoqué pourrait susciter un changement d'attitude de la part des autorités monétaires.

Rappelons qu'en juillet 2008, la Banque centrale européenne avait relevé son principal taux directeur suite au rallye des prix des matières premières et ce, alors même que la conjoncture mondiale montrait des signes inquiétants de dégradation. En particulier, la crise des subprimes avait déjà fait choir Bear Stearns et emmené les États-Unis en récession depuis plusieurs mois. Après plusieurs années de crise et venant tout juste d'en sortir, les responsables politiques européens prendraient-ils le risque de retomber en récession ? À moins d'être cynique au point de vouloir tenter une remontée de la faible inflation au détriment de la croissance, la réponse est non.

 Des rendements élevés

À noter que dans la problématique actuelle des sanctions, les européens ont émis le souhait d'être moins dépendants de la Russie sur le plan de l'énergie. Si une réflexion est maintenant engagée sur ce front, il faudra toutefois du temps pour donner une chance à l'indépendance. Dans l'intervalle, les prix de l'énergie auraient le temps d'exploser si les relations venaient à se détériorer.  

Au vu des rendements élevés présentés par ces investissements, d'aucuns y reconnaîtront des opportunités d'achat. Pour les obligations libellées en rouble, la question clé est la même que celle relative à bien d'autres actifs émergents : peut-on avoir confiance en la stabilisation des taux de change ? L'avantage présenté par un rendement à l'échéance alléchant peut disparaître par une simple dépréciation du change en l'espace d'un instant ! Rappelons que le rouble a perdu plus de dix pour cent contre le franc depuis le début de l'année. Depuis la mi-mars, le mouvement s'est inversé mais le risque d'une nouvelle dépréciation ne peut être exclu tant que les tensions politiques resteront vives.

 Un défaut de paiement peu probable

Pour les obligations libellées en devise, les rendements sont plus faibles mais le risque de défaut plus élevé. Si un État peut être amené à imprimer des billets pour ne pas faillir à ses engagements financiers, il n'a pas cette possibilité si les conditions du contrat exigent des versements en monnaie étrangère. Ainsi, les obligations émises en devises n'ont-elles pas, en apparence, le risque de change. Mais la dépréciation du rouble peut mettre en péril la situation financière du débiteur si ses revenus ne sont pas dans la même monnaie que celle figurant au passif de son bilan.

Là encore, le taux de change demeure un paramètre important. En vertu de la position stratégique détenue par la Russie sur le plan énergétique, nous estimons toutefois que le scénario d'un défaut de paiement est peu probable. Dans ce sens, nous avons conservé les obligations dont il est question. Enfin, le retour au calme dans la région aura très probablement pour effet de faire remonter les titres financiers les plus dépréciés et ce, sans distinction de classes d'actifs.