Les taxis au bord de la crise de nerfs

Par Richard Darbéra  |   |  791  mots
La guerre entre taxis et voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) continue de faire rage en France. Pourtant, outre-manche, la cohabitation se passe plutôt bien... Par Richard Darbéra, chercheur au CNRS

Personne ne sait exactement, mais il y aurait en France près de 55 000 taxis et près de 10 000 voitures de tourisme avec chauffeur, les « VTC ». Une concurrence redoutable que les taxis ont sommé le gouvernement de neutraliser. Vont-ils avoir gain de cause comme en 1973 quand le gouvernement a commencé d'étrangler la petite remise, cet ancêtre des VTC maintenant éteint ?


Les taxis britanniques ont survécu aux VTC

L'année dernière, il y avait en Angleterre et au pays de Galles 77 961 taxis et 152 581 minicabs, l'équivalent anglais des VTC, pour une population de 10 millions inférieure à la nôtre. Soit une offre totale par habitant plus de quatre fois supérieure. Comment cela a-t-il été possible ? Comment les taxis anglais ont-ils survécu ?

En Angleterre, les taxis sont une affaire du ministère des Transports. Ce ministère publie chaque année des statistiques détaillées disponibles sur Internet. Il rédige aussi régulièrement à l'attention des collectivités locales des licensing guidances, des sortes de modes d'emploi d'une trentaine de pages qui expliquent dans le détail les règles minimales que les véhicules ou les entreprises doivent respecter pour obtenir des licences de taxi ou de minicab.

Des candidats nombreux

En France les taxis sont l'affaire du ministre de l'Intérieur. Il y a dix ans, en 2004 le ministère a cessé de publier son recensement quadriennal. Et la seule guidance qu'il ait produite est une circulaire de 1993 du ministre de l'Intérieur aux préfets, leur recommandant, dans une belle litote, de « ne pas étendre à l'excès le nombre des exploitants de voitures de petite remise de façon à maintenir les fragiles équilibres avec les exploitants de taxi ». Cette circulaire d'une page, appuyée par une nouvelle circulaire en 2000, signait l'arrêt de mort des voitures de petite remise, car, contrairement à celles des taxis, leurs autorisations étaient personnelles et non transférables.

On ne connaît pas le nombre de taxi en France, mais on en connaît le nombre à Paris. Il y en a 17 636. Entre 1967 et 2013 ce nombre a augmenté de 23%. À Londres, dans la même période, il a augmenté de 193 % : il a quasiment triplé. Et dans la même période, sont apparus à Londres 55 000 minicabs avec leurs 65 000 chauffeurs. Devant cette concurrence le métier de chauffeur de taxi est-il devenu moins attractif à Londres ? Pas du tout ! L'afflux de candidats est tel qu'il a fallu durcir les conditions d'admission dans la profession. En 1967, il fallait 18 mois de préparation intense pour passer le Knowledge, l'examen topographique très sélectif qui barre l'entrée dans la profession de taxi. Il faut maintenant quatre ans de préparation, et contrairement aux licences de taxi parisiennes, cet investissement considérable n'est pas récupérable quand on quitte la profession.

 

Les anglais les plus pauvres férus de "minicabs" 

Ce développement de l'offre, tant en quantité qu'en diversité, bénéficie bien sûr en premier lieu aux usagers. En 25 ans le nombre de voyages en taxi et minicab par habitant a triplé en Grande Bretagne alors qu'il a probablement stagné ou décru en France. Mais les chiffres disponibles montrent aussi un autre phénomène intéressant : ce sont les Anglais les plus pauvres qui prennent le plus souvent les taxis et les minicabs : 16 voyages par an et par personne pour les 20% les plus pauvres contre 10 voyages pour les 20% les plus riches.

Ils le font principalement pour des courses, des affaires personnelles ou pour rendre visite à des amis. On ne connaît pas les chiffres pour les Français, mais selon l'Enquête Globale Transport de l'Ile de France 2001-2002, les 10% des franciliens les plus riches font à eux seuls autant de voyages en taxis que les 50% les plus pauvres.

Plébisciter les citoyens ?

Il y a deux ans, la Commission des Lois anglaise a lancé une « consultation » sur une cinquantaine de propositions pour réformer les lois qui régissent les taxis et les minicabs. Elle a reçu près de 3500 contributions de simples citoyens comme d'élus, d'artisans comme de grosses entreprises. Des contributions de quelques lignes à plusieurs dizaines de pages. Les recommandations de la Commission seront publiées à la mi-avril, mais on en connaît déjà les principales orientations : supprimer le numérus clausus sur les taxis qui existe encore dans quelques villes comme Liverpool et abolir les frontières administratives qui cantonnent les marchés des minicabs.

Le gouvernement français a donné deux mois à Thomas Thevenoud, le député PS qu'il a nommé comme médiateur, pour régler le conflit entre taxis et VTC. Ses recommandations seront probablement publiées en même temps que celles de la Commission des Lois Anglaise. Suspense…