"Pâques avant les Rameaux"  : le sens perdu de la Passion

Par Sophie Gherardi  |   |  837  mots
A la veille du week-end de Pâques, certains ont déjà pris de l'avance sur la chasse aux œufs. Ce qui peut s'avérer savoureux avec un petit rappel de ses origines... Explications de Sophie Gerhardi, fondatrice de fait-religieux.com.

Les petits Parisiens du 15e arrondissement étaient à la fête, samedi 12 avril : la mairie avait organisé dans le parc Georges Brassens une grande chasse aux œufs.

- Une chasse aux œufs ? Un samedi ? La veille des Rameaux ?

- Bah oui, et alors ?

- Alors d'habitude ça se fait le jour de Pâques. Là, ils ont fait Pâques avant les Rameaux ! (éclat de rire)

- …. ?

Cette conversation, vécue, révèle des strates d'incommunicabilité entre générations. D'abord les jeunes parents n'ont pas compris ce qui faisait rire leurs propres parents. Autrefois, on disait d'une femme qui se mariait enceinte qu'elle avait fait Pâques avant les Rameaux. Pour trouver ça drôle, il faut savoir que la fête des Rameaux a lieu le dimanche avant Pâques, et que le mariage pour cause de grossesse a été pendant des siècles l'un des grands classiques des familles, un sujet de drames et de comédies. Sinon, bof.

 

Joyeuses Pâques !

Aujourd'hui, la plupart  des Français connaissent la fête de Pâques par ses à-côtés ludiques : poules ou lapins en chocolat, déjeuner de famille, chasse aux œufs. La date n'a pas grande importance (surtout qu'elle change tous les ans) et sa signification encore moins. Les plus attentifs s'attendront à voir à la télévision, comme chaque dimanche de Pâques, la bénédiction du pape « Urbi et Orbi » - à la Ville et au monde. La salutation « Joyeuses Pâques ! » ne s'emploie plus guère, même si chacun ressent confusément que Pâques est un moment heureux.

A ce stade, un petit passage façon Wikipedia s'impose. Pour les chrétiens - catholiques, orthodoxes et protestants - Pâques est la plus grande fête du calendrier car elle commémore la résurrection de Jésus-Christ, le troisième jour après sa crucifixion le vendredi, pour cette raison appelé Vendredi Saint. Ce jour-là, l'on est triste et l'on jeûne : par extension, tous les vendredis de l'année l'on ne mange pas de viande (vérifiez : c'est poisson dans toutes les cantines).

 

40 jours de pontes à rattraper 

Et les Rameaux ? C'est l'entrée de Jésus à Jérusalem, accueilli par des vivats et des palmes déposées sur sa route par la foule, selon les Evangiles. Pourtant, quelques jours après, il est arrêté, jugé, condamné et crucifié - comme il l'avait annoncé. C'est là que se noue l'essentiel de la foi chrétienne : Jésus Christ en mourant rachète les péchés du monde, en ressuscitant il promet la vie éternelle. Mais les juifs aussi ont une fête de Pâque (sans s), qui commémore la sortie d'Egypte du peuple d'Israël, là encore accomplissement d'une promesse divine. Elle dure huit jours (ou sept, selon les traditions) et l'on n'y mange ni pâte ni pain levés. L'agneau sacrifié est commun aux deux fêtes, juive et chrétienne.

D'accord, dira-t-on, mais pourquoi les œufs ? Parce que les chrétiens autrefois, et encore aujourd'hui dans le monde orthodoxe, ne consomment ni viande ni œufs pendant quarante jours avant Pâques, durant la période du Carême. Tous les œufs pondus ces semaines-là doivent être mangés à Pâques. Ici, une interprétation personnelle : le lundi de Pâques férié a été inventé pour étaler les agapes et éviter aux bons chrétiens l'indigestion fatale.

 

La France, mauvaise élève de l'Eglise

Mais trêve de rappels. La France d'aujourd'hui est un des pays les plus sécularisés de l'Europe, elle-même continent le plus sécularisé du monde. Dans l'European Value Survey de 2009, à la question « Appartenez-vous à une religion ? » 50% des Français répondaient oui et 50% non. Selon les différents sondages, environ 40% des Français disent croire en Dieu, à comparer avec 90% des Américains. Les catholiques qui constituaient encore 80% de la population il y a trente ans sont sans doute autour de 45% aujourd'hui, mais seulement 16% ont une pratique irrégulière et 6% une pratique régulière (chiffres de 2012). En outre 43% de ces pratiquants ont plus de 65 ans. Plus surprenant, parmi eux 5% disent ne pas croire en Dieu…

Les catholiques français sont dans l'ensemble plus âgés, moins croyants et moins pratiquants que les fidèles des religions minoritaires - par ordre numérique décroissant : islam, protestantisme, judaïsme, orthodoxie… A tel point que, selon le politologue Claude Dargent, l'un des meilleurs connaisseurs du paysage religieux français, dans la classe d'âge des 18-24 ans, il y a désormais plus de musulmans pratiquants réguliers que de catholiques. Dès lors, il n'est pas si étonnant d'entendre tel journaliste de télévision expliquer que le Carême est le Ramadan des chrétiens, histoire de bien se faire comprendre. Allez, comme disaient nos anciens : joyeuses Pâques !

 

*Sophie Gherardi a fondé et dirige le site internet Fait-religieux.com. Elle a été directrice-adjointe de la rédaction de la Tribune de 2008 à 2010.