Le retour de la "désinflation compétitive"..., l'inflation en moins !

Par Philippe Mabille  |   |  611  mots
Reuters
Nous sommes en 1984. Après l'échec de la relance solitaire de 1981-1982, François Mitterrand a engagé en 1983 avec Jacques Delors le tournant de la rigueur puis, pour relancer son septennat, confié l'accentuation de cette politique à un tout jeune Premier ministre de 37 ans, Laurent Fabius.

Cette politique a un nom, aujourd'hui oublié, la « désinflation compétitive ». Ses instruments ont été la désindexation des prix et des salaires, la fixation d'une norme d'inflation à l'allemande obtenue par une politique délibérée de « franc fort », et une série de réformes libérales : désencadrement des prix qui étaient encore à l'époque en partie fixés par la « rue de Rivoli » (où se trouvait alors le ministère des Finances), développement des marchés financiers, réhabilitation de l'entreprise. Nous sommes en 2014.

Après l'échec des deux premières années du quinquennat, François Hollande, qui n'a réussi ni à inverser la courbe du chômage ni à ranimer la croissance, qui n'a pas fait grand-chose à part augmenter les impôts, confie à un jeune Premier ministre populaire les clés de la maison. Mais sans aucune marge de manoeuvre. Son horizon : réduire d'au moins 50 milliards d'euros les dépenses publiques et tenir les engagements pris par la France de réduire les déficits à moins de 3 % en 2015. La feuille de route est tracée, et la réalité à venir, c'est encore et toujours plus de rigueur, en essayant de limiter la casse sociale et politique.

Avec trente ans d'écart, le couple Hollande Valls s'apprête donc à reconduire la même politique que celle du couple Mitterrand-Delors, prolongée par le tandem Fabius Bérégovoy. Cette politique, déguisée sous le terme vague de « pacte de responsabilité », va concrètement consister à faire de la « désindexation compétitive ».

À l'image des retraites complémentaires - qui progresseront de 1 point de moins que l'inflation en 2014 et 2015, en vertu de l'accord signé l'an dernier par les syndicats sauf la CGT -, tout le système social français va être touché par un gel des prestations (hors minima sociaux) jusqu'en octobre 2015.

À en juger par le débat provocateur lancé par Pierre Gattaz, qui s'est prononcé en faveur d'un smic transitoire moins élevé pour certains jeunes (déjà une réalité pour une armée de stagiaires et de jeunes en apprentissage), cette désindexation ne s'arrêtera pas aux prestations sociales, mais s'étendra aux salaires. Manuel Valls a confirmé le gel du point d'indice des fonctionnaires. S'il a écarté toute remise en question du smic, demandée par certaines personnalités marquées à gauche, comme Pascal Lamy, le Premier ministre n'a rien dit à propos de sa revalorisation.

Pierre Gattaz a fait à ce sujet un aveu lourd de sens, il a reconnu une part de responsabilité patronale dans la perte de compétitivité de l'économie française : « Oui, il faut pratiquer la modération salariale parce que, depuis une douzaine d'années, nous avons augmenté les salaires au-delà de la productivité et au-delà de l'inflation. » Ce faisant, il engage les employeurs à la vigilance pour éviter qu'une hausse des salaires ne vienne effacer en quelques années l'effet des 30 milliards d'allégements de charges obtenus avec le pacte de responsabilité.

Cette cure de désindexation de l'économie française n'est évidemment pas une bonne nouvelle pour le pouvoir d'achat, donc pour la consommation. Mais, compensée en partie par des baisses de charges salariales et d'impôts pour les plus modestes, elle sera peut-être le moyen le plus indolore de réaliser des économies substantielles. Un moindre mal, donc, en profitant du fait que l'inflation devrait rester faible pendant encore deux ans, si l'on en croit la Banque centrale européenne. Quant à dire que mener une politique de désinflation compétitive alors que l'inflation a pratiquement disparu est une bonne stratégie pour la croissance, on peut en douter.