Les présidents et la fiscalité (2/5) : Mitterrand ou l'anti-réforme

Par Ivan Best  |   |  896  mots
François Mitterrand n'a pas soutenu la seule grande réforme fiscale débattue sous sa présidence: la création de la CSG, voulue par Michel Rocard
Si François Mitterrand a arbitré les moindres détails du nouvel impôt sur la fortune, il n'a pas encouragé les réformes. Au point de freiner la création de la CSG

C'est Jacques Chirac, candidat à l'élection présidentielle en 1995, qui apôtre soudain de la lutte contre la « fracture sociale », le disait crûment : « on peut s'interroger sur la réalité des politiques de gauche, voyez la politique économique menée par les socialistes à la fin des années 80, elle a été la plus à droite de l'après-guerre ».
De quoi résumer la fiscalité sous Mitterrand ? Ce serait aller un peu vite. Mais il est vrai que le choix européen fait par le premier président socialiste de la Vème République a déterminé largement sa pratique. Et des choix pas vraiment différents de ceux de son prédécesseur, quelques symboles mis à part. Pas vraiment passionné par l'économie, François Mitterrand s'est plutôt opposé aux vraies réformes, notamment celle proposée par son troisième premier ministre, qu'il eut tendance à traiter avec mépris, Michel Rocard, à savoir la création de la CSG.

Pas intéressé par la fiscalité... impôt sur les grandes fortunes mis à part

Rien à voir avec un Hollande, de ce point de vue, Mitterrand ne se mêlait pas de la tambouille fiscale. Il arbitrait les grande orientations, et le ministère des Finances suivait. Une règle générale, à une exception près : l'impôt sur la fortune.
Pour le coup, le président socialiste a pris les choses en main. Quel patrimoine devait frapper cet impôt ? L'outil de travail, comme on disait alors, à savoir la propriété de son entreprise ? Les œuvres d'art ? Sur ce deuxième sujet, on sait le lobbying intense d'un Laurent Fabius, désireux de voir les œuvres d'art échapper à l'impôt sur les grandes fortunes (IGF, telle fut sa dénomination de 1982 à 1986). Ce qui est moins connu, c'est que, en matière de biens professionnels, la première version de l'IGF prévoyait de les taxer, avec un taux réduit. Elle fut votée, puis annulée avant son application.
L'IGF fut annulé par la droite à nouveau majoritaire en 1986, ce qui fut peu apprécié de l'opinion et contribua à la défaite de Jacques Chirac, candidat l'élection présidentielle au printemps 1988. Puis rétabli en 1988, avec le retour du PS au pouvoir, sous la dénomination d'Impôt de solidarité sur la fortune. Avec la même structure : taxation de tous les biens, sauf la propriété d'une entreprise -il faut en posséder au moins 25% et y exercer une activité de dirigeant- et les œuvres d'art.

Une grande continuité avec la politique Chirac

Pour le reste, comme pouvaient le relever alors -fin 1988- les fiscalistes du cabinet Francis Lefebvre, la continuité a prévalu en matière de politique fiscale, entre celle menée par une droite se voulant pourtant très libérale, de 1986 à 1988, et une gauche obnubilée par la création du grand marché européen, instaurant la liberté de circulation des capitaux à compter de 1992. D'où des allègements successifs de la fiscalité des entreprises (baisse de l'impôt sur les bénéfices des sociétés, notamment, ramené de 40% à 33,33%), et la multiplication des dispositifs favorables à l'épargne. A la fin des années 80, il était possible d'obtenir des placements sans risque -sicav monétaires- rémunérés à hauteur de 8% et non imposés !
Petit à petit, ces avantages ont été écornés. Mais c'est le ministre des Finances Pierre Bérégovoy, qui, sous l'égide de François Mitterrand, est allé le plus loin dans cette voie de la détaxation de l'épargne.

Bercy ne voulait pas de la CSG, Mitterrand ne soutenait pas vraiment le projet

Quant aux réformes... l'unique changement structurel fut impulsé à l'initiative de Michel Rocard: la création de la CSG. « La seule réforme fiscale de l'après guerre avec la création de la TVA », a pu dire Rocard, plutôt content de lui.
Ce qui est certain, c'est qu'il l'a faite contre Bercy, qui ne voulait pas de ce nouvel impôt, avec un Mitterrand au mieux neutre, ou, le plus souvent, soutenant son ministre des Finances, contre cette innovation aujourd'hui saluée par tous les économistes : faire financer la protection sociale par tous les revenus, au lieu des seuls salaires.

Stabilité des prélèvements obligatoires

Quant au niveau global des impôts, François Mitterrand était bien sûr attendu au tournant. Mais, dès 1983, il mettait en garde contre la montée des prélèvements obligatoires. Il est logique que Valéry Giscard d'Estaing ait laissé le soin à son successeur PS de faire passer la France au socialisme, selon les critères giscardiens : le président libéral considérait qu'au delà de 40% du PIB, les prélèvements obligatoires faisaient basculer une société du libéralisme au socialisme.

Cela fut fait en 1982, peu après son départ. Mais ce qu'il faut souligner, c'est que Giscard avait largement préparé le terrain, laissant des prélèvements non loin de la barre fatidique des 40%, à 39,4% du PIB pour l'année 1980.
Et que, quand Mitterrand a laissé le pouvoir -économique, en tous cas-, c'est-à-dire en mars 1993, les prélèvements obligatoires se situaient à peine au dessus des 40%, à 40,3%, précisément. Autrement dit, alors qu'ils avaient augmenté de 6 points de PIB sous le septennat Giscard, ils sont restés stables sous Mitterrand.