En France et en Belgique, des élus s'opposent à l'appétit d'ogre du géant Ikea

Par Franck Gintrand  |   |  874  mots
Une dégradation des relations entre les communes et le géant suédois, une tendance lourde?
Souvent accueilli triomphalement dans les villes où il choisit de s'implanter, Ikea n'hésite pas, une fois installé, à réclamer davantage de mètres carrés pour renforcer l'attractivité de son enseigne. Des responsables politiques, confrontés à cette technique du « pied dans la porte », se sentent souvent impuissants. Mais un vent de révolte souffle aujourd'hui en France et en Belgique. Par Franck Gintrand, Directeur général de Global conseil corporate

Les relations entre Ikea et l'agglomération de Caen débutent en 2008 sous un ciel sans nuage. Cette année-là, le géant suédois  fait une demande d'implantation sur la commune de Fleury-sur-Orne, en périphérie sud de l'agglomération normande. Une demande acceptée par la CDAC, (Commission départementale de l'aménagement commercial) avec le soutien du maire de Caen. Mais en 2011, alors que le magasin vient juste d'ouvrir, Ikea dépose un projet d'agrandissement autour d'une grande galerie commerciale de 30.000 mètres carrés, composée d'un hypermarché de 6.000 mètres carrés, de 70 boutiques. Un projet qui contrevient à tous les engagements pris auparavant de ne pas concurrencer le commerce de centre-ville.

Les élus soudainement opposés à Ikea

Ce revirement soulève un tollé de la part des élus de l'agglomération caennaise mais ne perturbe pas un instant Ikea. La sympathie dont l'enseigne bénéficie, sa force de frappe et le nombre de ses clients lui donne une confiance qui peut friser l'arrogance. Car le directeur Europe du groupe, Richard Vathaire, n'en démord pas et évoque « un projet commercial global majeur pour l'attractivité de l'agglomération de Caen, qui ouvrira en 2014 ».

En janvier 2012, dix jours avant la remise officielle du projet à la CDAC, l'ancien maire de Caen, Philippe Duron essaie de le convaincre de retirer son projet, et de participer à une concertation avec les commerçants de la région caennaise pour en élaborer un nouveau. Sans succès. La CDAC accepte l'extension mais plusieurs recours sont déposés pour casser la décision. Après avoir rejeté la demande d'Ikea en 2012, la CNAC (Commission Nationale de l'Aménagement Commercial) vient de valider le projet présenté en deuxième instance.

 Un passage en force qui suscite indignation et incompréhension

 En ce début de mois d'octobre, les élus et commerçants multiplient les communiqués incendiaires et les annonces des dépôts de recours en cascade, cette fois devant le juge administratif, contre cette autorisation accordée à Ikea.  Marie-Jeanne Gobert, vice-présidente de la Région et conseillère municipale de Caen, Rodolphe Thomas, maire d'Hérouville et conseiller général, Gérard Leneveu, maire de Giberville, Xavier Le Coutour, conseiller municipal de Caen, ancien responsable de la commission d'urbanisme commercial de Caen Métropole, Éric Delaunay, président des Vitrines de Caen ou encore Henri Sacripanti, président de Coeur de Caen commerce... Tous se sont élevés d'une seule voix contre cette autorisation, qui porterait un coup fatal au centre-ville de Caen et, ce faisant à l'attractivité générale de l'agglomération.

Seul le maire de Fleury, commune d'implantation d'Ikea, n'est évidemment pas de cet avis. Comment est-il possible aujourd'hui de passer outre le désaccord flagrant des acteurs principaux, du monde politique et économique ? Joël Bruneau, maire et président de l'agglomération caennaise, a fait part de son incompréhension et de son intention de déposer un recours auprès de la Cour Administrative d'Appel de Nantes.

 Vent de fronde à Arlon

 Si Ikea n'a peut-être pas définitivement gagné la partie à Caen, il doit également faire face à une fronde en Belgique. Ancienne place forte, Arlon vient de lui dire non. Il faut dire que la commune belge a du caractère, un sacré caractère même. Le lion rouge qui lui sert de blason sait rugir quand il le faut : en 1793 aux côtés des révolutionnaires français, lors de l'invasion allemande en 1940 ou, plus récemment, quand la ville décide de mettre un terme au jumelage avec la commune française d'Hayange passée du PS à l'extrême-droite aux dernières élections municipales.

Alors quand le magasin Ikea du coin, fort de son million annuel de visiteurs, annonce en mars avoir « décidé de s'agrandir », à la ville d'Arlon on ne se laisse pas impressionner. D'autant que, après avoir parlé de 5.000 mètres carrés supplémentaires, l'enseigne crée la surprise en déposant une demande de 10 000 mètres carrés pour accueillir des enseignes d'équipement de la maison  mais aussi de sport et de puériculture.

Une demande qui, après avoir provoqué l'opposition immédiate des commerçants du centre-ville, vient d'être rejetée à l'unanimité par le « collège échevinal » arlonais. Pour les élus locaux belges, cette extension n'aurait « aucun impact positif sur le commerce de centre-ville ». Au contraire, elle constituerait « plutôt un frein à une fréquentation accrue du centre-ville. » Quant aux emplois annoncés, il s'agit, de l'avis du conseil municipal, d'un simple transfert de la main-d'œuvre d'un site à l'autre.

Une dégradation des relations avec le géant suédois, une tendance lourde?

Caen et Arlon confirment que, dans une période de crise, les demandes d'extension ne sont plus acceptées aussi facilement que par le passé. Si les communes françaises et leurs élus semblent avoir plus de difficultés à faire entendre leurs voix, la dégradation de leurs relations avec le géant suédois risque bien de se transformer en tendance lourde en France. Et ce ne sera sans conséquence sur l'activité d'Ikea, qui a déjà vu son chiffre d'affaires baisser en France en 2013...