Attention, l'inflation est en vue, et l'atterrissage sera difficile

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  1124  mots
Marc Guyot et Radu Vranceanu. (Crédits : Reuters)
OPINION. Nombre d'indicateurs montrent une reprise de l'inflation. Plutôt que de se focaliser sur une annulation de la dette Covid-19, il est temps d'analyser les nombreuses conséquences que vont avoir cette hausse des prix, notamment en cas de hausse des taux, sur les Etats et leurs budgets, les banques centrales et leur politique monétaire, dans un monde d'après-Covid-19 qui devra faire face à d'importants défis. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'ESSEC.

L'inflation montre son nez un peu partout dans le monde. Si elle n'est que de 1,4% en décembre aux Etats-Unis, le spread entre les obligations du trésor US à 10 ans classiques et les obligations indexées sur l'inflation vient de dépasser les 2,19%, son niveau le plus élevé depuis 2018. La Banque centrale européenne (BCE) vient enfin de mettre à jour le panier de base sur lequel elle calcule l'évolution des prix pour construire son indice phare d'inflation, intégrant les bouleversements dans la consommation des ménages dus au Covid19. Avec cette actualisation, l'inflation annuelle est passée de -0,3% en décembre 2020 à + 0,9% en janvier 2021. Pour l'Allemagne, où la TVA vient d'augmenter, la hausse des prix est de 1,6%.

Signes avant-coureurs

Il y a bien d'autres signes avant-coureurs d'inflation dans la hausse accélérée des prix des biens alimentaires et des matières premières, la hausse du prix du pétrole, du fret maritime et des prix à la production. On en voit également dans les nombreuses pénuries de composants qui bloquent les chaines de fabrication automobile et les pénuries de matériaux de construction qui font monter les prix à la construction.

Le retour de l'inflation ne serait pas vraiment une surprise lorsqu'on considère l'effondrement de la production mondiale en 2020 d'un côté et le maintien des revenus d'un autre côté, grâce aux gigantesques plans de relance transformés en déficits monétisés sans état d'âmes par les banques centrales. Dans le contexte de choc d'offre engendré par la crise sanitaire, s'il est exact que les plans de relance par la demande ont réussi à stabiliser la chute d'activité, ils ont également créé les conditions de la hausse des prix.

La Banque d'Angleterre semble avoir pris la mesure du risque inflationniste, et mis en attente un nouvel assouplissement. La Fed, au contraire, a choisi de changer de stratégie vis-à-vis de l'inflation et d'autoriser celle-ci à dépasser les 2% le temps nécessaire pour que l'économie retrouve une meilleure forme. La BCE de son côté a adopté la stratégie de l'autruche niant le choc d'offre et considérant que la faiblesse de la demande devrait maintenir l'inflation inférieure à 2% au moins jusqu'en 2022 !

Un problème pour les investisseurs privés

Si on admet que le risque inflationniste est réel - comme nous l'avons anticipé et décrit dans un autre article dans la Tribune en mai 2020, qu'est-ce que cela impliquerait pour la politique économique de la zone euro ?

Actuellement, les rendements négatifs sur les obligations du trésor jusqu'à 10 ans dans la zone euro s'expliquent par la forte demande de la BCE pour ces obligations, accompagnée d'une demande du secteur bancaire, induite en grande partie par les politiques de la même BCE (refinancement à long terme). En présence d'inflation, si la BCE peut continuer à acheter quelques centaines de milliards d'euros de dettes, cela ne sera pas le cas pour les investisseurs privés pour lesquels détenir ces titres sur une longue période reviendra à encaisser une perte en termes réels. Lorsqu'ils se délesteront de ces titres, cela fera augmenter mécaniquement les taux d'intérêt. Comme les nouvelles émissions de dettes devront se faire à ces taux plus importants, sachant que la maturité moyenne des dette publiques en zone euro ne dépasse pas les huit ans, l'inflation permettra certes d'éroder un peu le ratio dette sur PIB, mais pas autant qu'on l'espère.

Cette hausse des taux déterminée par l'inflation devrait toucher toutes les dettes, y compris celles des pays vertueux, ou encore l'emprunt commun de l'UE (dont les modalités de remboursement ne sont toujours pas connues).

Puisque la mission centrale de la BCE est de maintenir la stabilité des prix, elle sera bien obligée dans un premier temps de ralentir puis stopper sa politique de rachat de dettes publiques, et, à moyen terme, d'inverser les machines et de laisser le stock de titres diminuer au fur et à mesure où les obligations arrivent à échéance. Cela permettrait d'absorber la liquidité de manière apaisée.

On peut une fois encore insister sur l'absurdité de la solution magique consistant à annuler la dette publique détenue par la BCE. Si jamais ce philtre était bu, la BCE détruirait son principal moyen de lutter contre l'inflation. Cela reviendrait pour la BCE à aller contre sa propre constitution et la promesse initiale de faire de l'euro une monnaie aussi solide que le Deutsche Mark. Heureusement, pour l'instant personne ne prend au sérieux cette proposition ; ses défenseurs n'auront donc pas à se reprocher d'avoir contribué à dégrader les anticipations d'inflation, en contribuant à détruire la crédibilité de la BCE et la valeur de l'euro.

Appel au programme d'opérations monétaires sur titres (OMT)

Une hausse des taux d'intérêt de long terme mettrait certains États dans d'évidentes difficultés pour renouveler leurs dettes, et les amènerait certainement à faire appel au programme d'opérations monétaires sur titres (OMT) mis en place par Mario Draghi en 2012. Par ce programme, la BCE se donnait la possibilité de soutenir les gouvernements en détresse financière en contrepartie de réformes supervisées par la BCE, l'UE et le FMI. Mais la crédibilité de ce programme repose intégralement sur une inflation maitrisée. Si la BCE n'arrive pas à atteindre cet objectif, ce programme ne pourra pas fonctionner, et des grands pays d'Europe pourraient avoir comme seule solution la sortie de l'euro.

Le temps est venu de commencer à imaginer le monde d'après en s'appuyant sur des théories économiques qui ont fait leurs preuves. Pour stabiliser la dette du Covid19 et revenir à l'équilibre budgétaire, il faudra complètement revoir la nature, le montant et l'efficacité des dépenses publiques et probablement augmenter les impôts. Cette crise sanitaire n'étant certainement pas la dernière, il est impératif de renforcer les systèmes de santé dans le sens d'une plus grande efficacité en lieu et place des stratégies budgétaires d'économie de bout de chandelles. Les systèmes de retraites devront également être repensés dans le sens de l'efficacité pour en assurer la pérennité. L'administration publique devra impérativement devenir plus efficace et plus focalisée sur sa mission, de nombreuses fonctions pouvant être transférées vers le secteur privé. L'urgence budgétaire doit sonner le glas des vaches sacrées et aucun aspect de la dépense publique ne doit échapper à une sérieuse remise en question en termes d'organisation et d'efficacité. Toutes les cartouches ont déjà été tirées, il n'y a plus d'alternative à la remise en cause.