Comment euthanasier les rentiers sans massacrer la classe moyenne ?

Par Michel Santi  |   |  615  mots
Taux négatifs et investissements publics en berne, telle est la combinaison mortifère qui remet en question le seul et unique objectif des rentiers de la classe moyenne : obtenir un revenu régulier et sûr.

500 millions d'individus vivent aujourd'hui sous le régime des taux négatifs. Est-ce le début d'une ère nouvelle où il sera courant que le rendement des dettes souveraines puisse être négatif ? En d'autres termes, que les gouvernements, de droite, de gauche, du centre, financent leur dette publique à des taux négatifs, que les investisseurs en soient réduits à payer ces mêmes Etats qui leur demandent leur épargne ? Comment en est-on arrivé là ?

Mixture infernale

La réponse est simple. Depuis 2010, les mièvres reprises économiques ayant eu lieu au sein des économies développées - principalement en Union européenne - n'ont été redevables qu'à de la politique monétaire (donc à l'action des banques centrales) car la politique budgétaire et fiscale des Etats s'est savamment employée à casser toute dynamique vertueuse. Cette mixture infernale de politique monétaire hyperlaxiste et de politique budgétaire rigoureuse est en train de réaliser la fameuse prophétie de Keynes qui parlait d'euthanasier les rentiers. Si ce n'est que - si euthanasie il y a -, elle ne s'accompagne pas de la socialisation de l'investissement qui devrait être son pendant et qu'il appelait de ses vœux.

Cette euthanasie des rentiers prend, en outre, une tournure qu'il ne pouvait à son époque soupçonner car le récit keynésien évoquait un rôle actif de l'Etat qui investit par temps de crise et qui devient dès lors généreux pourvoyeur de capitaux en direction d'une économie censée être revigorée par cet afflux de liquidités qui comprime les taux d'intérêt. L'austérité budgétaire et le rétrécissement de l'Etat entraînent en réalité l'euthanasie des rentiers de la classe moyenne, autrement dit de cette classe qu'il ne fallait surtout pas euthanasier ! Car, s'il est évident que les 1% n'ont nul souci à se faire aujourd'hui, les rentiers de la classe moyenne sont à l'heure actuelle une classe bien plus vaste qu'elle ne l'était du temps de Keynes, au milieu des années 1930, et qui comptent l'ensemble des individus dépendant pour beaucoup des intérêts et de la rentabilité de leurs investissements et placements.

Pas assez de gagnants

Cette combinaison mortifère de taux négatifs contrecarrés par des investissements publics en berne remet en question précisément leur seul et unique objectif qui est d'obtenir un revenu régulier et sûr. Qui plus est, la politique - contrainte et forcée - des banques centrales des taux négatifs induit une instabilité financière telle que même les actifs naguère réputés sécuritaires deviennent aujourd'hui à risque ! En somme, la conjoncture actuelle de vents contraires ne crée pas suffisamment de gagnants pour permettre à l'économie de voler de ses propres ailes, afin que tant l'intervention des banques centrales que celle de l'Etat ne s'avèrent plus nécessaires.

La mort des rentiers n'était supposée être qu'un dommage collatéral d'une économie parvenue au plein emploi. Au lieu de cela, nous assistons aujourd'hui à un spectacle affligeant de rentiers graduellement euthanasiés pendant que, de leur côté, les salariés et les travailleurs souffrent de réductions progressives de leur pouvoir d'achat et d'un chômage élevé chronique.

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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et Directeur Général d'Art Trading & Finance.

Il est également l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience", "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique" et de "Misère et opulence", préface rédigée par Romaric Godin.

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