Comment les inventions dynamitent notre économie (et nos vies) sans prévenir

Par Robert Jules  |   |  1079  mots
La charrue a mis fin au nomadisme des chasseurs-cueilleurs au profit la sédentarité agricole. Elle a ouvert une ère de prospérité, un cinquième de la population pouvant nourrir les quatre autres cinquièmes. Cela a libéré du temps pour développer de nouvelles activités, par exemple l'écriture, les droits de la propriété, l'engrais... (Crédits : Reuters)
LA CHRONIQUE DES LIVRES ET DES IDÉES. L'innovation ne se réduit pas simplement à un moyen d'améliorer la compétitivité des entreprises. Elle prend des chemins détournés et bouleverse quelques fois nos façons de vivre. C'est ce que raconte brillamment le chroniqueur du Financial Times Tim Harford dans « L'économie mondiale en 50 inventions » (éd. PUF).

Préféreriez-vous gagner 70.000 dollars par an maintenant ou en 1900 ? A priori, en 1900, puisque le pouvoir d'achat serait plus important (en tenant compte de l'inflation cela équivaudrait à 2 millions de dollars aujourd'hui). Mais c'est oublier que de nos jours vous pouvez acheter avec 1 dollar bien plus de choses qu'en 1900, par exemple, un appel téléphonique à l'autre bout de la terre, un accès à internet pour une journée ou encore des antibiotiques pour vous soigner. Un siècle auparavant tout cela n'existait pas.

Le coût de la lumière diviser par 5.000

Cette question, Tim Harford la pose dans son livre « L'économie mondiale en 50 inventions », pour montrer combien certaines innovations ne font pas que réduire les prix et améliorer notre confort mais ont un puissant pouvoir de modification du fonctionnement de nos sociétés. L'invention de la lampe électrique a permis non seulement de diviser par 5.000 le coût de la lumière - on lira avec intérêt la part du prix des bougies dans l'économie familiale - mais a libéré l'activité humaine en nous permettant de travailler, de lire ou de jouer quand nous en avons envie.

L'ampoule est l'une des 50 inventions que le célèbre chroniqueur du Financial Times raconte avec un remarquable talent pédagogique pour éclairer le fonctionnement de l'économie comme il l'a fait dans ses nombreux ouvrages antérieurs (dont certains traduits en français comme « L'économie est un jeu d'enfant » (éd. PUF) ou encore « La logique cachée de la vie » (éd. De Boeck)).

Outre le plaisir de s'instruire sur des innovations aussi diverses que la charrue, le passeport, les robots, le plateau-télé, le code-barres, le plateau-télé, la propriété intellectuelle, le papier, Google, le béton ou encore le plastique, l'intérêt du livre de Harford est de montrer aussi combien les causes et les effets de l'innovation sont diverses.

La charrue "outil simple mais révolutionnaire"

La charrue, « outil simple mais révolutionnaire », permettant de retourner la terre pour la cultiver a mis fin au nomadisme des chasseurs-cueilleurs au profit la sédentarité agricole. Elle ouvrira une ère de prospérité, car un cinquième de la population allait pouvoir nourrir les quatre autres cinquièmes, libérant leur temps pour développer de nouvelles activités, par exemple l'écriture, les droits de la propriété, l'engrais... qui vont favoriser l'émergence d'une nouvelle civilisation à l'organisation sociale plus complexe, par exemple les villes.

Mais, remarque Harford, ce changement crée aussi des inégalités, une hiérarchie que ne connaissaient pas les chasseurs-cueilleurs : gouvernants et gouvernés, soldats, rois, bureaucrates de l'administration, oisifs cherchant à vivre du travail d'autrui. L'innovation, contrairement au discours béat que l'on entend de nos jours, favorise la concurrence avec son lot de gagnants et de perdants.

Tout comme la charrue, le fil barbelé est une innovation fascinante par sa simplicité, sa longévité, et son universalité. Inventé pour répondre au besoin des colons de protéger leurs récoltes des immenses troupeaux paissant librement dans les plaines de l'immensité de l'Ouest américain, il délimite leur terrain, et institue de facto un droit de propriété. Cela fit le bonheur des nouveaux propriétaires terriens, mais détruisit la société indienne où la terre était commune et mis fin à l'âge d'or des cow-boys.

On retrouve aujourd'hui la même problématique avec l'espace numérique, entre ceux qui veulent protéger leurs créations en instituant des barrières, via un droit de propriété intellectuelle, contesté par les tenants de la gratuité du savoir sur le web.

Les toilettes à la maison grâce à l'invention du tuyau en S

D'autres inventions libèrent nos limites physiques. Le lait en poudre pour bébés a changé la vie de la mère, le plateau-télé celle de la femme au foyer, et la pilule contraceptive l'a libéré de la contrainte de la reproduction au profit d'une libération sexuelle et sociale qui lui a conféré une plus grande égalité avec l'homme. Dans un autre registre, l'invention du tuyau en S a permis d'avoir des toilettes à l'intérieur des maisons sans être dérangé par les odeurs.

Autre enseignement que tire Harford de sa quête : une innovation est la résultante d'un système d'autres innovations. L'ascenseur moderne n'a pu advenir qu'avec le gratte-ciel, le béton armé, et l'air conditionné. Le besoin de simplification a poussé à la standardisation. Le chroniqueur du FT raconte l'instructive réunion d'ingénieurs qui à Londres en 1946 vont créer l'Organisation mondiale de normalisation, l'ISO. Cette démarche va accroître l'efficience de l'organisation économique. On oublie ce que doit par exemple notre richesse à la compatibilité des vis à travers le monde. D'autres inventions relèvent de cette logique : le conteneur maritime, le code-barres - que son inventeur Joseph Woodland a conçu par analogie « en glissant ses doigts dans le sable en pensant au code Morse » - ou encore la fameuse bibliothèque Billy d'Ikea.

Mais Harford montre aussi que le succès d'une innovation repose sur la capacité géniale à combiner d'autres innovations. Le cas de l'iPhone de Steve Job est connu. Il a pensé son design et son interface utilisateur mais pour le reste, il n'a fait qu'assembler d'autres inventions. Il en va de même de l'horloge, du radar ou encore du plastique.

Un sérieux bémol à cette vision technophobe

A l'heure où la critique du progrès est devenue une figure convenue non seulement dans certains milieux conservateurs mais plus étonnamment dans les milieux progressistes, le livre de Tim Harford apporte un sérieux bémol à cette vision technophobe. Les inventions ne sont pas que des solutions à nos problèmes ou les résultats d'un calcul économique. Elles émergent aussi par leurs effets inédits. Ainsi, le papier a d'abord été utilisé pour emballer les marchandises avant de devenir un support pour l'écriture qui allait changer radicalement notre rapport à la connaissance.

On oublie souvent comment les inventions s'incorporent dans nos vies si étroitement qu'elles semblent avoir toujours fait partie d'elles. Le mérite du livre de Tim Harford est de nous le rappeler et surtout de montrer que, grâce à elles, « pour la plupart des gens, la vie est infiniment meilleure qu'elle ne l'était autrefois ».

Tim Harford « L'économie mondiale en 50 inventions », éditions PUF, traduit de l'anglais par Laurent Bury, 512 pages, 22 euros.