Convergence des luttes ou divergence des buts  ?

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  1186  mots
Marc Guyot et Radu Vranceanu
La soi-disant « convergence des luttes » s'appuie sur une communication qui emploie de nombreux symboles de l'idéologie marxiste, bien que celle-ci nous apparait définitivement condamnée dans les pays à fort développement. Son processus d'étiolement graduel s'accompagne cependant d'une forme de radicalisation des nostalgiques de cette quasi-religion. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'ESSEC.

Ce printemps, 50 ans après les mouvements sociaux de Mai 68 et 200 ans après la naissance de Karl Marx, a été marqué par la célébration d'évènements vécus par les uns comme une revendication de liberté et par d'autres comme les soubresauts d'un gauchisme moribond et de ses revendications anachroniques.

  • L'occupation du site universitaire de Tolbiac comme moyen de lutte contre la sélection à l'entrée de l'Université et les mouvements de grève dans les IEP avec le refus de considérer que la qualité du diplôme soit liée à la sélection.
  • Le refus par les zadistes d'évacuer les territoires qu'ils occupent maintenant illégalement même après l'abandon du projet de construction de l'aérodrome de Nantes affirmant le refus du droit de propriété ;
  • La grève des pilotes d'Air France pour un accroissement de leurs salaires avec le refus du lien entre fragilité structurelle de l'entreprise et modération de l'évolution des rémunérations ;
  • La grève menée par les syndicalistes de la SNCF qui refusent le projet de réforme préparant l'ouverture à la concurrence du rail au mépris des directives européennes en la matière ;
  • La manifestation violente menée par des milices d'extrême gauche en marge des défilés du 1er mai, autour des portraits de Che Guevara et autres symboles du communisme, au mépris de la loi et des forces de l'ordre ;
  • La journée de manifestation du parti France Insoumise sous le slogan de « la Fête à Macron », qui semble avoir attiré presque 40.000 manifestants, brandissant des drapeaux rouges et slogans anticapitalistes.

Peut-on suivre certains syndicats et commentateurs politiques pour lesquels l'ensemble de ces évènements forme un tout cohérent qu'ils appellent « la convergence des luttes » en voulant voir une corrélation entre les revendications exigées ? Il est raisonnable de reconnaître qu'elles poussent sur le même terreau idéologique, celui d'un marxisme prônant la lutte des classes et l'expropriation violente des capitalistes, rejetant le respect des contrats et toute forme de concurrence et de sélection ou rémunération au mérite.

Les soubassements intellectuels n'y sont quasi plus

Cependant, si le terreau d'origine est bien celui-là et si la communication des mécontents s'appuie bien sur les symboles du marxisme, il faut reconnaitre que les soubassements intellectuels n'y sont quasi plus.

Pendant de nombreuses années, l'idéologie collectiviste a été propagée dans la Société par une majorité d'intellectuels d'une grande érudition appelant à la construction d'un « socialisme scientifique » supposé supérieur au capitalisme et à ses contradictions qui l'entraineraient inexorablement vers sa fin. Ce projet de société égalitaire, considérée comme théoriquement supérieur, n'était confronté aux mauvaises performances de l'économie française en termes de croissance et d'emploi que pour expliquer que ces mauvais chiffres ne venaient que de la réalisation incomplète du socialisme. Ainsi le culte de la planification a résisté en France bien après sa disparition dans les pays voisins. La chute du mur de Berlin et la révélation des crimes du communisme et de son immense échec économique et social ont mis un terme à l'appel explicite à une société communiste mais pas à la haine du capitalisme. Les élites actuelles, formées après la chute du communisme à l'Est de l'Europe, n'ont plus les mêmes incitations à se revendiquer porteur de cette idéologie. Ainsi les relais traditionnels que constituaient le contenu des programmes scolaires d'histoire et d'économie, les journaux et les médias et les intellectuels de gauche sont fortement dé-marxisés. De plus, l'explosion de l'information décentralisée via les réseaux sociaux rend de plus en plus faible le contrôle du contenu des informations et de la présentation du monde. Par ailleurs, la globalisation se faisant également dans l'accès aux media internationaux, beaucoup de Français lisent les media étrangers et les news en ligne.

La préservation des avantages acquis par certains travailleurs

L'idéologie marxiste ayant fortement perdu de son attrait, la contestation actuelle contre la société capitaliste cible notamment les inégalités de revenu, les abus des grandes firmes et les risques écologiques liés à l'activité économique, mais sans l'alternative radicale de révolution communiste. Il s'agit plutôt dans le cadre de la société, telle qu'elle existe, de lui adjoindre une politique fiscale confiscatoire, une sur-règlementation en termes d'interdiction d'activités présentées comme anti-écologiques, une ouverture large des frontières aux migrants sans se poser la question de remédier aux problèmes qui les poussent à quitter leur pays, et la préservation des avantages acquis par certaines catégories de travailleurs dans le secteur public et semi-public.

S'il y a convergence concernant cette attitude post-marxiste sans Marx, il y a une vraie divergence dans les mouvements étudiants contre la sélection, zadistes d'occupation de territoires et syndicalistes de lutte pour le maintien d'avantages acquis. En revanche les manifestations violentes de l'extrême gauche lors du 1er Mai sont bien ce qu'il reste du mouvement intégrant l'ancien marxisme d'antan et ses différents courants.

Depuis plus de 25 ans, il n'existe plus d'alternative visible aux sociétés capitalistes. Le seul choix étant entre une version plutôt sociale-démocrate ou une version libérale. La désindustrialisation et la forte baisse de l'emploi manufacturier au profit de l'emploi dans les services fait disparaître le prolétariat ouvrier que la dictature du peuple devait « libérer de ses chaînes ». Tout à l'opposé de ce que prévoyait Karl Marx, non seulement le prolétariat ne s'est pas appauvrit, mais il disparaît au profit des classes moyennes. En effet, la majorité de la population a vu son niveau de vie augmenter même si les classes les moins riches voient leurs revenus augmenter moins vite que les classes les plus riches.

Emmanuel Macron a profité de cette évolution

Le Président Emmanuel Macron a largement profité de cette évolution pour entamer une transformation de l'économie française. Certes, il ne s'agit pas de réformes au sens strict, car l'ampleur des changements structurels est faible, cependant, par leur nombre significatif, ces projets d'ajustement poussent la France dans la direction déjà prise par l'ensemble des autres pays européens vers la version socio-libérale du capitalisme. Là encore, ce n'est pas le signe d'une victoire intellectuelle du libéralisme sur le marxisme mais d'une disparition de cette lutte intellectuelle. C'est une évolution opportuniste et pragmatique vers l'organisation économique à même de générer les bonnes performances en termes de croissance et de compétitivité observées chez nos voisins. Si nous pouvons critiquer le Président pour avoir renié certains de ses engagements de campagne - la nationalisation de l'UNEDIC, l'inversion des normes dans la négociation collective..., il faut lui reconnaitre la détermination à faire entrer l'économie française dans le type d'organisation qui fonctionne au 21e siècle en termes de croissance et d'emplois.