Echec et mat pour la Russie ?

Par Michel Santi (*)  |   |  681  mots
(Crédits : SPUTNIK)
CHRONIQUE. C'est entendu : en dépit du plafonnement des prix à venir du pétrole, la Russie ne pourra se payer le luxe d'en stopper la production. Par Michel Santi, économiste. (*)

Le plafonnement des prix du pétrole décidé il y a quelques jours par le G7 est une mesure originale, inédite, à prendre très au sérieux. Les pays membres de ce club exclusif refuseront donc d'acheter à la Russie son pétrole à un prix qui dépassera un certain niveau qui sera fixé ultérieurement. Certes, la Russie pourrait-elle prendre les devants et refuser de vendre à des nations qu'elle juge hostiles. Cette hypothèse est pourtant à écarter immédiatement car les revenus liés au pétrole ont représenté ces dernières années jusqu'à 40% des revenus du Kremlin. Ce pays est donc sous perfusion.

Il peut d'autant moins se permettre d'interrompre sa production car ses infrastructures seraient irrémédiablement endommagées par une paralysie qui leur serait fatale durant l'hiver. Un arrêt - même provisoire - de la production de pétrole de la part de la Russie qui aurait comme stratégie de forcer à une remontée des prix (qui lui bénéficierait) du fait d'un approvisionnement déficient la contraindrait par ailleurs à des dépenses gigantesques car il faudrait carrément reconstruire les pipelines qui seraient mis hors service par les rigueurs de l'hiver. C'est donc entendu : en dépit du plafonnement des prix à venir du pétrole, la Russie ne pourra se payer le luxe d'en stopper la production.

Les Etats-Unis et leurs alliés européens n'avaient d'autre choix dans l'adoption de cette mesure drastique car la Russie a largement augmenté depuis l'embargo ses ventes en direction de la Chine, de l'Inde et d'autres pays grâce auxquels elle a pu maintenir le volume de ses exportations à un niveau constant. Les soldes substantielles consenties de l'ordre des 20 dollars le baril pour «motiver» les acheteurs n'ont effectivement entamé en rien ses revenus car l'appréciation des prix pétroliers a largement compensé son manque à gagner. Dans le cadre du plafonnement à venir, ces mêmes pays importateurs de pétrole russe - étant loin d'être philanthropes - ne paieront évidemment pas 1 dollar de plus par baril à la Russie que ce qui sera défini par le G7, et ce en dépit de leurs protestations de forme à l'encontre de ce qu'ils considèrent comme un diktat occidental. En outre, et selon toute vraisemblance, ces mesures seront respectées car - contrairement aux sanctions imposées unilatéralement à l'Iran par les Etats-Unis en 2012 et appliquées à reculons par ses alliés - ce plafonnement du prix de la vente du pétrole russe a été adopté à l'unisson et à l'unanimité par l'ensemble des nations occidentales, ce qui lui confère dès lors une force de frappe et un potentiel d'efficacité redoutables.

Le G7 et followers a en effet les moyens de contrôler toute la chaîne : depuis le paiement de la facture pétrolière à l'assurance de son transport, au cargo qui le contient comme à son équipage et jusqu'aux courtiers qui en font l'intermédiation... Des sanctions rédhibitoires sont prévues envers tout l'écosystème des contrevenants qui ont un certain laps de temps pour s'y adapter, puisque ces mesures seront appliquées en plusieurs étapes : plafonnement stricto sensu du prix du pétrole russe le 5 décembre 2022 puis des produits raffinés au 5 février 2023. Bref, la Russie est condamnée à engranger à relativement court terme de moins en moins de recettes pétrolières, dans un contexte où ses revenus non pétroliers ont déjà baissé de 15% et où son PIB connaîtra une chute de l'ordre de 5% à 8% en 2022, ne tenant pas encore compte du plafonnement des prix pétroliers.

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
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