Shinzo Abe, tué pour avoir été Keynésien

CHRONIQUE. L'ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe a été tué par balles vendredi alors qu'il faisait campagne dans la ville de Nara, dans l'ouest du Japon, en vue des élections sénatoriales. Michel Santi, économiste (*), nous fait le portrait posthume de ce Premier ministre profondément Keynésien.
(Crédits : TORU HANAI)

Il a sorti son pays du dogme pacifiste adopté suite à la deuxième guerre mondiale. Il a largement contribué à transformer le Japon en un pays soucieux de ses intérêts géopolitiques et stratégiques qui a dès lors pu occuper la place qui lui revenait méritait dans la gouvernance sécuritaire mondiale. Il était catalogué de «fasciste» par certains esprits peu évolués. En réalité Shinzo Abe était un activiste civique qui aimait son pays, un homme foncièrement démocrate, et entièrement dédié à renforcer le Japon.

Il avait pourtant hérité d'un pays en crise profonde, économique et financière bien-sûr mais également existentielle. Il dut ainsi gérer une spirale déflationniste insidieuse et sans fin, l'implosion du marché du crédit, une liquéfaction immobilière absolument sans précédent, la quasi éradication de son marché boursier, une productivité en déclin permanent, la perte de compétitivité de ce que furent les entreprises légendaires du Japon, une démographie en berne, les conséquences d'un tsunami ayant dévasté Fukushima et tué 16.000 personnes... Que d'articles j'ai écrit sur Shinzo Abe, sur son exceptionnel volontarisme et sur son programme original qui portait son nom («Abenomics») fondé sur les fameuses «3 flèches» qui permirent enfin au pays de se sortir par le haut de sa double décennie perdue, de renouer avec la croissance et de stabiliser les ratios dette publique/PIB.

Dans "Si seulement nous étions tous japonais", j'expliquais comme il eut le courage d'appliquer un programme fondamentalement keynésien consistant à augmenter la dépense publique, à mettre en place par sa banque centrale interposée une politique de création monétaire massive tout en décrétant des réformes structurelles autorisant l'assainissement à long terme de son économie.

Dans "Le Japon au bois dormant", je détaillais la détermination que fut celle du Premier Ministre Abe dès son avènement qui n'a lésiné ni reculé devant aucune décision censée sortir son pays de la léthargie dans laquelle il s'était enfoncé depuis une trentaine d'années. Grâce à Abe, le Japon put et sut faire face à son destin, et même le forcer. En conjurant le sort par une authentique révolution culturelle et des mœurs ayant régénéré le marché du travail par l'apport des femmes, des vieux et des étrangers.

Dans "Ce Japon qui n'en finit pas de nous surprendre", je démontrais les mesures prises sous son impulsion consistant à littéralement harceler les entreprises nippones pour embaucher toujours plus de femmes, ou à développer le système de crèches afin de faciliter le travail des femmes, ayant permis aujourd'hui au Japon d'avoir un taux d'emploi féminin supérieur à celui des Etats-Unis. Ayant trouvé un pays fermé voire xénophobe, Abe révolutionna la posture de son pays car la politique vis-à-vis de l'immigration fut bouleversée. Dès 2017, les procédures pour obtenir le statut de résident japonais furent notoirement facilitées et raccourcies, autorisant les travailleurs étrangers à affluer de manière quasi exponentielle. Un fantastique coup de jeune fut donc donné à une nation qui en avait bien besoin, car par exemple près de 20% des moins de 20 ans habitants à Tokyo aujourd'hui sont nés hors du Japon.

Face au déclin japonais jugé inéluctable par nombre d'observateurs et de responsables étrangers, confronté à une démographie catastrophique, Shinzo Abe déroula toute sa détermination à maintenir le rang de son pays. Sa conviction s'inspirait largement de Keynes qui partait du principe que, jusqu'à preuve du contraire donc, on ne peut compter que sur les Etats pour sauver l'économie, par l'entremise d'un secteur public fort et performant, par de la dépense publique déterminée, par l'activation énergique de la politique monétaire. Je montre, dans "Japon, miroir du monde", comme le Japon fut un laboratoire, mais également un cimetière où économistes et théoriciens durent enterrer leurs certitudes. Ce pays agit en effet comme un révélateur de vérités peu agréables à entendre pour tout économiste orthodoxe car il perturbe toutes les idées reçues.

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
Sa page Facebook et son fil Twitter.

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Commentaires 8
à écrit le 11/07/2022 à 5:48
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Shinzo Abe, tué pour avoir été en relation avec une secte qui à ruinée la mère du tueur. Cherche pas plus loin, et ne baigne pas dans ton amalgame.

à écrit le 10/07/2022 à 19:57
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Amène !... Citons entre autre La Tribune... puisque l'auteur parle de grand homme... les premières lignes devrait interpellé.. nombreux scandales.. mais un entre autre....: . . La Tribune Économie International Scandale foncier au Jap...

à écrit le 10/07/2022 à 17:47
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Shinzo Abe n'a jamais dénoncé les atrocités commises par l'armée japonaise en Chine et en Asie du sud-est avant et pendant la seconde guerre mondiale !

à écrit le 10/07/2022 à 13:22
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Quelle belle auto-promotion : la biographie complète de l'auteur par lui-même. Je ne connais pas M SANTI ni la valeur de ses études sur la Japon mais je constate qu'il sait vanter et vendre ses textes... Cette publicité opportune gâche tout de même u...

le 10/07/2022 à 14:51
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"ni la valeur de ses études sur la(le, je fais la fôte de frappe aussi, parfois) Japon" donc c'est mauvais car il cite un ouvrage de 'référence' personnel (le travail des chercheurs, synthétiser des trucs dans des livres que d'autres pourront lire), ...

à écrit le 10/07/2022 à 11:35
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Tombe bien.... Rfi ce jour....: ...".... . Des jeunes Japonais peu mobilisés En tout cas, il ne faut a priori pas s'attendre à un taux de participation élevé des jeunes, remarque notre correspondant à Tokyo, Bruno Duval. Dans l'archipel, en effe...

à écrit le 10/07/2022 à 8:08
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Le keynésianisme, la théorie économique des irresponsables. L'histoire n'est pas finie, loin s'en faut

à écrit le 10/07/2022 à 7:54
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Ou , comment un " pseudo économiste" utilise ce fait divers tragique pour essayer de nous vendre sa théorie keynesienne ......., qui n'a démontré qu'à trés peu d'occasions , sa pertinence

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