Electricité nucléaire  : la compétitivité des industriels français en danger

Par Julien Tedde (*)  |   |  654  mots
OPINION. La fameuse phrase de Serge Tchuruk, alors patron d'Alcatel, qui rêvait d'une entreprise « sans usine » est malheureusement en train de prendre forme à l'échelle nationale. Par Julien Tedde, Directeur général d’Opéra Energie (*)

Alors que l'industrie représentait plus de 25% du PIB de la France dans les années soixante-dix, cette part était de 10% en 2019. Nos voisins européens font globalement mieux : Allemagne (20%), Italie (23%) et Espagne (25%). Seul le Royaume-Uni, dont l'économie est largement « financiarisée » rejoint le triste score français. Les raisons de cette désindustrialisation sont multiples : coût du travail, poids des réglementations... Ce n'est pas notre objet ici.

En revanche, un des avantages historiques de l'industrie française, c'est le coût de son électricité. En 2019, un industriel français payait environ 75 euros le MWh d'électricité alors que son voisin italien le payait 40% plus cher. En Allemagne, cet écart monte à plus de 60%, et atteint presque 100% pour le Royaume-Uni. Cet avantage n'est pas anodin : le coût de l'électricité est une part importante des charges d'une industrie. Pour certaines industries « électro-intensives », cette part peut même atteindre 50%. Ainsi, une baisse de la facture d'électricité peut offrir à certains industriels un gain de compétitivité salutaire dans un marché mondialisé si concurrentiel.

Ne pas plomber l'industrie française

Les industriels ne s'y trompent d'ailleurs pas : l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN), défend leurs intérêts spécifiques auprès des pouvoirs publics depuis le deuxième choc pétrolier.  Au cœur de leur combat : la compétitivité industrielle française. Les 25 principaux industriels électro-intensifs se sont même regroupés pour négocier auprès d'EDF des conditions d'approvisionnement particulièrement favorables, via un contrat (« Exeltium ») qui court de 2010 à 2034.

Les industriels de plus petite taille, moins sensibles au prix de l'électricité, n'ont malheureusement pas droit à de tels avantages. Certains d'entre eux peuvent bénéficier d'exonération de taxes, voire de coûts de transport bonifiés. Mais le principal avantage national, qui concerne l'ensemble des industriels, est le prix de l'électron, grâce à la compétitivité du parc nucléaire français. En effet, le mécanisme d'accès réglementé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), mis en place en 2010, permet à l'ensemble des consommateurs français de bénéficier d'une part de la « rente nucléaire historique ». A savoir : l'accès à une électricité bon marché, car produite par des centrales amorties depuis de nombreuses années.

Or, les négociations actuelles entre l'État français et la Commission européenne autour du projet « Grand EDF » (ex-« Hercule ») pourraient modifier cet avantage. Alors que les ménages seraient assurés de continuer à bénéficier de l'avantage nucléaire français, une récente note confidentielle de Bercy évoquerait la fin de cet avantage pour les industriels. Cela signifierait une hausse de leur facture d'électricité d'environ 30%, soit environ trois milliards d'euros pour l'ensemble de l'industrie française. Donc une perte de compétitivité aussi brusque qu'immédiate.

Ce sujet, très technique, reste encore cantonné aux rares experts de l'énergie. Or, cette évolution, si elle est avérée, aurait un impact majeur sur l'industrie française. Quelques mois après la baisse des impôts de production, ce serait un bien mauvais signal envoyé aux industriels français.

Au moment de relancer son économie et son marché de l'emploi après la plus grave crise économique depuis 1945, la France a plus que jamais besoin d'une industrie forte, et donc compétitive !

____

(*) Julien Tedde : Ingénieur de formation Julien Teddé a débuté sa carrière dans l'industrie du pétrole, puis rejoint le groupe Engie en 2007. Il y travaille d'abord sur les modèles de prévision de consommation d'électricité et de gaz, l'organisation de la collecte de CEE, et la gestion des crédits carbone et des garanties d'origine. Il dirige ensuite le développement des ventes d'électricité et d'effacement pour les entreprises et collectivités en France. En 2014, il fonde avec deux associés Opéra Energie, dont il est le Directeur Général.