Equiper l'armée française d'un fusil allemand, une erreur ?

Par Rémy Thannberger  |   |  802  mots
L'armée française abandonne le fusil Famas pour une arme allemande. Pourtant, une solution nationale était possible. Par Rémy Thannberger, président du directoire du groupe Manhurin

L'annonce était prévisible : le ministère de la défense vient de choisir un fusil d'assaut allemand pour remplacer, au sein de nos forces armées, notre Famas national.

Une nouvelle page de notre histoire industrielle se tourne donc, comme souvent en la matière, probablement définitivement. Bien sûr, le processus avait-il été - hélas - engagé de longue date, avec la fermeture dans l'anonymat, de la prestigieuse manufacture d'armes de Saint-Etienne. Mais cet événement doit nous conduire à nous interroger une nouvelle fois et, peut-être, plutôt que de se résigner, à réagir.

 La France, seule grande nation à dépendre de l'étranger en matière d'armes légères

D'abord un constat : des pays membres du Conseil de sécurité des Nations-Unies, la France est désormais seule à dépendre de l'étranger en matière d'armes légères. Certes la réponse - très française - est connue : un fusil d'assaut, comme de nombreux autres matériels disponibles "sur étagères", ne revêtirait aucun caractère stratégique. Nous serions donc une nouvelle fois seuls à avoir raison contre le monde entier. Peut-être, mais qu'on le veuille ou non, certaines acquisitions à l'étranger - indépendamment du fait qu'elles ne créent ni richesses, ni emplois en France - ont une portée symbolique qui dépasse de loin les enjeux économiques ou financiers stricto sensu. Et en l'occurrence l'importation d'un fusil, peut difficilement être interprétée autrement que comme un énième signe du déclin de notre industrie mécanique ou du désintérêt - pour ne pas dire du mépris - du pays à son égard. Imagine-t-on pourtant un seul instant l'US Army disposer d'un fusil standard fabriqué ailleurs qu'aux Etats-Unis, la Bundeswehr équipée d'un fusil italien ou l'armée russe d'un fusil belge ?

 Un message désatreux

Au-delà des considérations budgétaires somme toutes assez modestes au regard de notre trentaine de milliards de dépenses annuelles en matière de défense, le message adressé à l'opinion publique de notre pays est, de notre point de vue assez désastreux, en ce qu'il va entretenir à tort, un complexe très français en matière industrielle. Il arrive de surcroît à un mauvais moment, alors que nos forces armées sont engagées sur plusieurs théâtres d'opérations au sol et que ce sont bien nos fournisseurs étrangers qui tireront le bénéfice du label "Combat proven" dont on connaît aujourd'hui l'importance déterminante dans la conquête de nouveaux marchés. Et il est sans doute bien naïf d'imaginer qu'ils n'exploiteront pas cette brèche, pour proposer ensuite d'autres gammes d'équipements à notre DGA.

 Une solution nationale possible

Dommage, car au risque de plaider pour une forme de protectionnisme - notion pourtant assez légitime en matière de défense - qui peut raisonnablement douter que la France, qui s'apprête là à s'engager pour des décennies, n'aurait pas été capable de promouvoir une solution nationale ? L'Etat ne pouvait-il pas réunir autour d'une même table nos industriels, petits et grands acteurs de notre BITD, pour constituer enfin une équipe de France de l'armement terrestre - comme celles qui engrangent les succès dans les domaines aéronautique et naval - et protéger une activité de souveraineté et d'influence, plutôt que de donner l'impression de l'abandonner ?

 Des munitions "made in France"

En la matière, le ministre de la défense, il faut le souligner, a peut-être trouvé lui même une manière de limiter les dégâts d'une désindustrialisation engagée par ses prédécesseurs. A la suite du rapport des députés Nicolas Bays et Nicolas Dhuicq qui mettait en effet en évidence la dépendance de notre pays en matière d'approvisionnement en munitions de petits calibres - qui sont en effet toutes importées -, Jean-Yves Le Drian a récemment émis l'idée de la réimplantation en France, d'une capacité munitionnaire. Celle-ci permettrait à n'en pas douter, de répondre aux besoins accrus des ministères concernés - défense, intérieur, justice et finances - , dans le contexte que l'on sait.

Ainsi, en s'appuyant sur des industriels nationaux parfaitement identifiés, aux savoir-faire reconnus et exportateurs, et puisque les armes légères qui équipent déjà nos forces de l'ordre et équiperont demain nos forces armées, sont et seront étrangères, au moins nos munitions, en revêtant à nouveau un caractère stratégique, ont-elles encore une chance de redevenir "Made in France". À suivre.

Rémy Thannberger, ancien auditeur de l'Institut des hautes études de la défense
nationale, est Président du directoire du Groupe Manurhin.