Fiscalité du capital, une réforme nécessaire

Par Ivan Best  |   |  1283  mots
Avant de proposer aujourd'hui un impôt sur le capital, Thomas Piketty avait préconisé une "flat tax" sur les revenus de l'épargne et du capital
Plutôt que d'alléger l'impôt sur le revenu de 10%, ne vaut-il mieux pas s'attaquer à une fiscalité française du capital à la fois lourde et injuste?

Faut-il baisser tout simplement l'impôt sur le revenu, comme le suggère Nicolas Sarkozy, qui préconise un allègement de 10%, ou plutôt réformer certains pans de la fiscalité française ? Tout dépend du point de vue. Quand les politiques aiment les promesses ou annonces bien visibles, qui frappent les esprits et laissent espérer au plus grand nombre un gain de pouvoir d'achat, les économistes privilégient les réformes de structure. Au lieu de baisser uniformément l'impôt sur le revenu, ne faudrait-il pas mieux alléger les pans de la fiscalité qui font de la France un pays très singulier en Europe et dans le monde, à savoir la fiscalité du capital ?

Championne du monde de la taxation du capital

La France est le pays champion du monde de la taxation du capital. Et ce record n'est évidemment pas de nature à favoriser l'investissement et la croissance. Partant de ce constat, Michel Didier et Jean-François Ouvrard proposent une réforme d'ensemble (1) qui, si elle ne bouleverserait pas ce constat d'un point de vue macro-économique, changerait la donne pour ce qui est de la micro-économie. A savoir : il paraît difficile, dans le contexte budgétaire actuel, de baisser franchement les impôts, quels qu'ils soient, la recette doit être préservée, mais il est possible de mieux en répartir la charge.
 Et de façon simplissime : en instaurant l'équivalent d'une « flat tax » (impôt à taux unique) de 30%, s'agissant des revenus du capital. Cette taxe unique remplacerait les prélèvements actuels frappant les particuliers : l'impôt sur les revenus du capital, les prélèvements sociaux, l'ISF, qui, au total, représentent une recette de 32,1 milliards d'euros par an pour les comptes publics. Tous ce prélèvements disparaîtraient donc.

 Encourager l'investissement

Quel serait l'intérêt d'une telle réforme, si la charge globale n'est pas allégée ? Elle éviterait la situation actuelle d'une très forte taxation des riches contribuables, les plus à même d'investir. Associé à cette réflexion, l'ancien haut fonctionnaire puis banquier Jean Peyrelevade le souligne : « plus vous êtes riche, plus le rendement du capital est faible » ,en raison de la fiscalité. Incontestablement, l'imposition à l'ISF  (à hauteur de 1%)  d'un patrimoine rapportant 2% équivaut à une taxation à 50%. Elle s'ajoute à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux (une taxation de 62% pour les hauts revenus). Soit une taxation théorique, au total, de 112%. Bien sûr, un système de plafonnement a été mis en place, sous la pression du conseil constitutionnel, qui limite le total de ces impôts à 75% des revenus. Mais il s'agit là d'un taux moyen : si l'on raisonne en termes de calcul marginal, comme c'est souvent le cas au moment d'investir,  le rendement d'un investissement envisagé peut être effectivement négatif, sous le poids des impôts. Pas très motivant...

Le recours aux niches fiscales

La plupart des riches contribuables évitent cet écueil en ayant recours aux diverses niches fiscales, permettant d'échapper au régime de droit commun. Mais est-ce là vraiment une solution ? Ces pratiques sont sources d'injustice et d'inégalités. Exemple : « il est possible, aujourd'hui de posséder un patrimoine de 100 millions d'euros et d'échapper à l'ISF, grâce à l'assurance vie » souligne Michel Didier. De fait, les sommes que rapporte un contrat d'assurance vie ne sont pas assimilées à des revenus tant qu'elles ne sont pas retirées de ce contrat. Un particulier plaçant 100 millions en assurance vie mais n'ayant aucun revenu -son banquier lui prêtera volontiers de quoi assurer son train de vie- échappera très légalement à l'ISF en raison du système de plafonnement. Son impôt sur la fortune théorique pourrait être de un million.... mais le total de ses impôts est plafonné à 75% des revenus. Or 75% de zéro égalent bien zéro. Exit l'ISF , donc, pour ce contribuable bien conseillé.

 Niches =distorsions

Ou alors, il est fait appel à différents systèmes, comme la réduction d'impôt ISF-PME ou le pacte Dutreil, qui permet à des actionnaires familiaux d'une entreprise de diminuer franchement leur facture fiscale. Mais ces niches, si elles font le bonheur des conseillers en gestion de patrimoine et des avocats fiscalistes, sont à l'origine de distorsions économiques. Ainsi, l'investisseur dans une PME ne pourra pas vendre ses titres avant un peu plus de cinq ans, sous peine de voir sa réduction d'ISF remise en cause. Que se passe-t-il si l'entreprise montre des signes de faiblesse avant ses cinq ans, et qu'un nouvel entrepreneur se propose de reprendre la totalité du capital, avec décote, pour la redresser ? Les actionnaires minoritaires seront bloqués, dans l'impossibilité de vendre leurs titres, sous peine d'être lourdement fiscalisés.

Mettre fin à ces aberrations

La suppression de l'ISF comme de celle de la plupart des niches, du plan d'épargne en action aux incitations à l'investissement immobilier, mettrait fin à de telles aberrations. Et l'assurance vie, placement préféré des Français? Elle serait maintenue, mais un peu plus lourdement taxée : aujourd'hui, les revenus sont soumis aux prélèvements sociaux de 15,5% auxquels il faut ajouter 7,5% de fiscalité, soit un total de 23%. Le système proposé conduirait à une taxation globale de 30%. Seuls certains contrats investir sur le très long terme auraient droit au régime préférentiel actuel.

Quels perdants?

Bien sûr, une telle réforme à prélèvement constant sur les revenus du capital ferait des perdants. Notamment parmi les utilisateurs de niches fiscales. Mais aussi au sein des ménages à faibles revenus, qui se trouvent aujourd'hui imposés faiblement, bien en dessous des 30% proposés. Nombreux, par exemple, sont les petits propriétaires bailleurs aux faibles revenus, donc peu taxés. Mais le système proposé passe aussi par l'instauration d'une une franchise d'impôt pour l'épargne populaire, qui limiterait cette surimposition des faibles revenus.

La flat tax sur les revenus du capital, une pratique répandue en Europe

La taxation des revenus de l'épargne à taux unique est du reste pratiquée dans beaucoup de pays européens. Les pays du Nord l'ont pratiquée les premiers, à la suite du Danemark en 1987. La Suède a mis en place en 1991 une taxation des revenus du capital sous forme de retenue à la source de 30%. Les Pays Bas et l'Allemagne s'en sont ensuite inspirés. En tout état de cause, l'idée de taxer non pas les revenus du capital, mais la simple détention de celui-ci (l'ISF, en France) a été abandonnée par la plupart des pays. Même si la détention d'un capital immobilier reste lourdement imposée dans les pays anglo saxons : aux Etats-Unis, les « property taxes », fixées pour une grande partie par les Etats, représentent souvent 1% ou plus de la valeur de marché des logements. Soit un taux bien supérieur à la taxe foncière française.

Piketty d'accord avec la flat tax... en 1997

Avant de proposer une taxation mondiale du capital, en 2013, Thomas Piketty avait suggéré, en 1997 (2), une toute autre piste, ressemblant furieusement à celle mise en avant aujourd'hui : une «flat tax » -il utilisait le terme-  s'appliquant elle aussi aux revenus et non à la détention d'un patrimoine. « Cet outil n'est sans doute pas adapté à la redistribution fiscale des revenus du travail, qui exige et qui permet une plus grande liberté, mais pourrait bien convenir à la réalité contemporaine des revenus du capital » écrivait l'économiste, approuvant donc par avance la réforme aujourd'hui proposée.


(1) « L'impôt sur le capital au XXIème siècle, une coûteuse singularité française »
Editions Coe-Rexecode - Economica

(2) L'économie des inégalités, La Découverte