Forêt française : loin du fantasme d'un massacre à la tronçonneuse, une gestion durable et encadrée

Par Philippe du Vivier (*)  |   |  1053  mots
Les forestiers français n'exportent pas, ils vendent à des acheteurs via leur coopérative, leurs experts ou directement à des négociants, des scieurs, des industriels. En France, si la manière d'exploiter ses bois est libre, l'État intervient pour que la forêt soit exploitée durablement. (Crédits : Reuters)
OPINION. Selon certaines présentations militantes, la forêt française serait de plus en plus en danger. Or la gestion de la sylviculture en France montre que ces préjugés et ce catastrophisme ne correspondent pas à la réalité. (*) Par Philippe du Vivier, agronome et forestier.

La forêt française se porte bien. De mieux en mieux, même, puisque sa surface augmente chaque année, et que la biodiversité y est une des plus riches d'Europe. Pourtant, à grand renfort d'images sensationnalistes, certains activistes voudraient nous faire croire le contraire. L'utilisation de ces images pour susciter l'indignation traduit soit une volonté de manipulation de l'opinion, soit une méconnaissance totale de la sylviculture moderne et de ses enjeux.

La forêt s'accroît et s'adapte

En croisant une abatteuse moderne en action (engin de plusieurs tonnes qui abat, ébranche, écorce un arbre en un temps record), il est légitime d'avoir un mouvement de recul, et de se demander si les dinosaures sont de retour. Cette machine a été conçue pour atteindre des objectifs de rendement élevés, et son action sur la forêt est impressionnante, voire inquiétante. Pourtant, son apparente férocité ne doit pas troubler notre jugement, ni nous faire passer à côté de la « big picture » : le système de gestion de la forêt dans lequel elle s'inscrit est dans l'ensemble vertueux. S'il est mû par des impératifs économiques, il l'est aussi par des considérations environnementales. L'un ne va pas nécessairement sans l'autre.

La forêt française ne cesse de croitre

La forêt française ne cesse de croitre. Elle est passée de 7,5 millions d'hectares en 1795 à 17 millions d'hectares actuellement. Peu de surfaces en forêts retournent à l'agriculture, alors qu'a contrario la déprise agricole pour des raisons d'accessibilité, de pauvreté des terres, ou des raisons liées au statut du fermage fait que certains propriétaires plantent et reboisent. Nous ne sommes pas au Brésil. Le Puy de Dôme, après la crise du phylloxera du début du XXe siècle, a progressivement replanté ses zones de vignes en forêt de résineux de montagne, faisant naître une nouvelle richesse.

Des essences se sont ainsi adaptées à notre contexte. Le robinier faux acacia, appelé acacia par habitude, le sapin de Douglas qui est synonyme de bon bois d'œuvre et qui possède une résistance aux attaques fongiques assez remarquable (évitant des traitements), et le chêne d'Amérique, par exemple. Le Douglas a un besoin d'eau lié à son origine géographique (nord ou sud des Rocheuses). Les 2 autres s'adaptent plutôt  bien au contexte climatique changeant. Le cèdre est un outsider intéressant.

Le recours à l'éclaircie

La forêt française est productive mais seule une partie de l'accroissement biologique annuel est utilisée, 50% à 60 %, ce qui veut dire que nos peuplements ne sont pas assez exploités, ce qui engendre de la concurrence interne entre les arbres, certains se développent au détriment des autres. L'éclaircie, opération consistant à supprimer un certain nombre d'arbres d'une parcelle au profit de ceux laissés en place, est un moyen de gestion qui diminue cette concurrence entre les arbres. Bien dosée, elle est aussi un moyen de se protéger des agressions climatiques actuelles. Dans cet accroissement biologique annuel, il y a largement la place pour développer le bois carburant (bûches, plaquettes et pellets) le bois industrie (panneaux agglomérés, pâte à papier) : nos revues et déclarations fiscales archivées sont des stocks durables de CO2 ; et le plus durable le bois d'œuvre pour vos maisons (charpentes, parquets, cloisons et meubles.)

Les forestiers français n'exportent pas, ils vendent à des acheteurs via leur coopérative, leurs experts ou directement à des négociants, des scieurs, des industriels. Rappelons qu'en France, si la manière d'exploiter ses bois est libre, l'État intervient pour que la forêt soit exploitée durablement. Il incite fiscalement les propriétaires à se soumettre à des règles de gestion, à respecter un cahier prévisionnel d'actions à réaliser, et bien sûr à respecter le Code Forestier.

Tout est bon dans la forêt

La forêt, avant le charbon et le pétrole, donc jusqu'à récemment (fin du XVIIIe siècle), était avec les moulins à eau ou à vent, la seule source d'énergie. Le premier charbon utilisé a été le charbon de bois. Il s'agit de ce que l'on appelle désormais une énergie renouvelable : la forêt durable continue à produire après une coupe, la partie qui n'est pas brulée, c'est-à-dire l'essentiel du bois (le bois-énergie ne concerne que la portion congrue du bois récolté, pour la simple et bonne raison qu'il en constitue l'exploitation la moins rentable) permet de stocker du carbone : charpente, cloison, parquet, mobilier, papiers archivés ou décors. L'excédent de biomasse non exploitée permet en outre beaucoup de choses, tant pour le chauffage que pour la chimie du bois dont on attend beaucoup par la variété des produits que l'on peut en obtenir. La forêt, pour reprendre une image que j'affectionne, c'est comme le cochon : tout y est bon, pourvu qu'on sache comment s'y prendre.

Le rêve de la mystérieuse forêt primaire

Il n'y a pratiquement pas de forêt primaire en Europe, exception faite de la Pologne (forêt de Białowieża). C'est un biotope non productif en équilibre, dans lequel il y a autant de bois qui se dégrade en pourrissant que de bois en croissance. Et l'oxygène produit le jour est consommé la nuit : idem pour le gaz carbonique produit la nuit et consommé le jour. Ce biotope ne corrige pas le taux de CO2 actuel. Cette forêt ne produit pas grand-chose en dehors de l'humus. Mais c'est le « Graal » de certains, et, il est vrai, un conservatoire de biodiversité. S'il est important que de tels espaces continuent d'exister, il l'est aussi que d'autres portent la trace de la main de l'homme : pour s'adapter au changement climatique via de nouvelles essences plus résistantes, pour renouveler les populations vieillissantes qui ne jouent plus leur rôle de « puits de carbone », mais aussi pour nous fournir du bois, dont nous avons cruellement besoin pour construire des logements bien isolés et des meubles durables ou nous chauffer et lire notre journal préféré.

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