Gaspard Koenig ou les écueils du libéralisme politique

Par Thierry Aimar  |   |  754  mots
Gaspard Koenig. (Crédits : DR)
OPINION. Le candidat libéral proposant un programme ciblant la simplification administrative n'a pas réussi à obtenir les 500 parrainages pour concourir. Comment interpréter cet échec? Par Thierry Aimar, enseignant chercheur à l'Université de Lorraine (BETA) et à Sciences Po, membre du conseil d'administration de la Société d'Economie Politique (SEP) (*).

Gaspard Koenig n'a donc pas réussi à obtenir les parrainages nécessaires pour se présenter à l'élection présidentielle. Le candidat libéral qui a labouré avec son cheval le terroir français en semant les graines de l'esprit d'entreprise n'a pas récolté la moisson de son enthousiasme. Ses propositions (bien trop fondées) en faveur de la simplification administrative n'ont pas trouvé suffisamment d'écho auprès des maires et élus, y compris dans les petites communes étouffées par les normes et le millefeuille bureaucratique. Comment interpréter cet échec ? De deux manières différentes, semble-t-il.

Pas d'expression électorale de la voix libérale

La première explication possible serait que notre système politique, par l'intermédiaire de ses filtres et intermédiations, n'autorise tout simplement pas l'expression électorale de la voix libérale, par crainte de lui voir accorder trop d'attention dans les urnes. Ce qui reviendrait à admettre l'impossibilité d'un libéralisme au sein d'une démocratie dite « représentative », mais dont les corps institués s'arrogent le droit exclusif de traduire la souveraineté populaire. Cette interprétation pourrait s'appuyer sur les efforts renouvelés, mais toujours déçus d'un Benjamin Constant pour imposer la liberté des Modernes à la France post-révolutionnaire; elle permettrait aussi de comprendre la finalité du système de « démarchie », proposé par Friedrich Hayek à la fin du 20e siècle pour contourner les manipulations répétées du système démocratique par des intérêts catégoriels.

La seconde explication, sans doute plus douloureuse encore, reviendrait à supposer que les Français ne sont pas libéraux, tout simplement. Gaspard Koenig, ébloui par l'intense désir de nos concitoyens d'échapper au maquis réglementaire, n'aurait-il pas été victime d'une illusion d'optique ? Le malentendu pourrait être d'ordre sémantique. Oui, les Français veulent la liberté. Mais n'est-ce pas la liberté de conserver leur rentes, publiques comme privées ? Oui, les Français veulent la liberté. Mais n'est-ce pas celle de faire payer aux autres l'irresponsabilité de leurs comportements ? Oui, les Français veulent la liberté. Mais n'est-ce pas celle de s'inscrire au concours des privilèges et des protections, en les remettant en cause uniquement lorsqu'ils n'en sont pas les heureux gagnants ? Bref, les Français pourraient vouloir la liberté ... sans le libéralisme !  Joseph Fouché écrivait dans ses Mémoires que les Français ne peuvent supporter ni la liberté ni l'oppression. On redouterait ainsi qu'ils ne soient guère sortis de ce ventre mou. Après tout, si les électeurs étaient véritablement libéraux, pourquoi une offre politique digne de ce nom ne répondrait pas à leurs aspirations ? L'échec des aventures libérales en France ne peut pas être simplement imputé à des erreurs de leurs dirigeants, ou à un déficit de communication. Dans cette configuration, le problème ne se trouverait pas dans l'offre des idées, mais dans la demande. On comprendrait alors le peu de succès d'un récit politique des gains de la liberté, adressé à des gens qui refusent en majorité d'en assumer les risques.

Préférer aux règles du marché des logiques d'assistanat

Ces deux explications sont sans doute plus complémentaires que contradictoires. Si nos sociétés gagnées par le communautarisme et l'esprit woke obligent les partis à répondre à leur demande de privilèges pour conserver leur clientèle, la structure de notre offre politique conduit parallèlement à valoriser des comportements de rent-seeking qui poussent les gens à préférer aux règles du marché des logiques d'assistanat, public comme privé. Le temps consacré au relationnel nuit au développement de leurs avantages comparatifs et à leur productivité.

Quel avenir alors pour le libéralisme ? Faute de pénétrer dans les cœurs par la porte électorale, il pourrait s'imposer dans les cerveaux par la fenêtre du réel. Plus le rent-seeking se développe, moins l'esprit entrepreneurial trouve la force de créer la valeur nécessaire à la préservation des privilèges. Ce serpent qui se mord la queue finira par s'avaler tout entier pour ne laisser que du vide. La totale disparition des opportunités de rente serait ainsi le préalable du retour en grâce du libéralisme, en se présentant à la société comme la seule alternative qui lui reste pour éviter la faillite.

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(*) Prochain ouvrage à paraître le 7 avril: "La société de la régression, le communautarisme à l'assaut de l'individu", éditions de L'Aube, 136 pages, 15 euros.