Impôt retenu à la source : les fourberies de Sapin

Par Ivan Best  |   |  810  mots
Michel Sapin, ministre des Finances
Le ministre des Finances défend officiellement le projet d'une retenue à la source de l'impôt sur le revenu, mise en œuvre le premier janvier 2018. En réalité, il sait le projet impossible à mener à bien dans ces délais.

Confirmé en juin 2015 par François Hollande, le projet d'instaurer une retenue à la source de l'impôt sur le revenu pouvait avoir deux objectifs. Soit le chef de l'Etat avait en tête une réforme technique mais socialement utile, car supprimant le décalage d'un an, parfois pénalisant, entre la perception des revenus et leur taxation. Soit Hollande pensait surtout à l'affichage d'une volonté de réformer, mais avec en réalité peu de chances d'aboutir. Il se confirme que cette deuxième option, celle de l'affichage, est la bonne.

Michel Sapin a beau réaffirmer, à l'occasion de chaque conférence de presse, que les délais prévus pour instaurer la retenue à la source le premier janvier 2018 sont serrés, mais que son ministère fait tout pour qu'ils soient tenus, ce ne sera pas le cas. Et il le sait bien. Il le sait surtout depuis qu'il a fait l'annonce d'un report du vote de ce projet. Il devait être soumis au parlement en collectif budgétaire en juin-juillet : il ne le sera finalement qu'en octobre, avec le projet de loi de finances pour 2017. Ces quelques mois changent tout. Un vote au début de l'été permettait à Bercy de commencer les travaux techniques dès septembre. S'agissant de la loi de finances pour 2017, il faudra attendre sa publication au Journal Officiel, le 31 décembre, pour les débuter. « Compte tenu des délais pour passer les marchés en matière informatique, une mise en œuvre le 1er janvier 2018 devient techniquement impossible » affirme un ancien haut cadre de Bercy.

L'obstacle du conseil constitutionnel

Michel Sapin est d'autant plus à l'aise sur ce sujet qu'il n'aura sans doute pas à gérer l'annonce d'un report du projet. Déjà, dans l'hypothèse, évidemment probable, d'un vote par le parlement à l'automne, l'obstacle du Conseil constitutionnel devra être franchi. Les sages du Palais Royal pourront s'en donner à cœur joie pour censurer la copie gouvernementale, tant seront nombreux dans le texte les motifs d'invalidation. Toute une série de procédures complexes sont effet prévues par Bercy afin d'éviter que de trop nombreux contribuables mettent à profit l'année blanche de 2017 pour exonérer leurs revenus d'impôt. En effet, en 2017, les revenus de 2016 seront imposés, tandis qu'en 2018, la taxation sera contemporaine des revenus (on imposera les salaires et autres revenus de 2018). Autrement dit, l'année 2017 passe à l'as, si l'on peut dire. Il est plus que tentant pour le vendeur d'une entreprise, par exemple, s'attendant à réaliser une grosse plus-value, de la localiser comme par hasard en 2017, évitant ainsi de la voir taxée. Pour contrer de tels projets attentatoires aux recettes fiscales, les fonctionnaires de Bercy prévoient des garde-fou multiples, mais qui risquent d'être autant de motifs d'inconstitutionnalité : le Conseil constitutionnel se fait fort de débusquer toutes les ruptures d'égalité devant l'impôt -c'est sa spécialité-, et il y en aura certainement puisque tous les revenus ne seront pas traités pareillement, afin d'éviter le contournement de l'impôt.

Les échéances électorales...

Imaginons que les sages de la rue Montpensier valident tout de même le texte. Il n'a pas échappé à Michel Sapin que des échéances électorales se profilaient à l'horizon 2017. De deux choses l'une : soit la majorité actuelle est écartée du pouvoir, et la droite revenant aux affaires annule la retenue à la source, comme ses principaux leaders l'ont déjà annoncé. Soit l'équipe aujourd'hui au pouvoir le conserve après le printemps 2017, et l'actuel ministre des Finances aura sans nul doute droit à un nouveau poste. Et il sera temps d'argumenter pour expliquer l'annulation du projet.

Mais quel est l'intérêt d'une telle manœuvre de la part de l'exécutif ? Il s'agit de prouver, à peu de frais, l'audace réformatrice du gouvernement. Dans le cas d'une annulation par le conseil constitutionnel, Michel Sapin pourra fustiger la ringardise des Sages, empêcheurs de réformer en rond... Dans l'autre hypothèse, relativement probable, si l'on en juge par les sondages, d'une victoire de l'actuelle opposition, et d'une annulation du projet, Michel Sapin et François Hollande ne manqueront pas de dénoncer une droite qui refuse les réformes utiles aux Français. Dans ces deux hypothèses, l'exécutif PS a le beau rôle.

Les experts en fiscalité ne contestent pas la nécessité de cette réforme: partout ou presque dans le monde, les impôts sont retenus à la source, difficile de croire que la France a raison contre tout le monde, dans ce domaine comme dans d'autres... Dommage que ce projet serve ainsi des objectifs purement politiciens, comme cela avait été le cas en 2006, par un autre ministre des Finances, Thierry Breton : il allait affirmant qu'il suffirait au gouvernement suivant « d'appuyer sur le bouton », alors que le projet n'était pas mûr.