L'austérité fait-elle une politique ?

Par Michel Santi  |   |  824  mots
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OPINION. La consolidation fiscale est une fable morale. Du reste, l'un après l'autre, tous les arguments - ou prétextes - en sa faveur tombent, comme dans un jeu de quilles. Par Michel Santi (*)

Les déficits seraient une charge supplémentaire qui pèse sur les générations futures ? Ceux qui le prétendent n'ont toujours pas compris qu'augmenter la dette aujourd'hui n'est nullement un transfert inter générationnel, mais intra générationnel, car c'est les débiteurs - demain - qui devront en effet rembourser les créanciers - de demain. Les déficits nuiraient à l'investissement ? En période de déprime du secteur privé, l'État se doit précisément de prendre intensivement le relais en arrosant de liquidités les acteurs de son économie. Ces mêmes déficits conduiraient à l'envolée des taux d'intérêt ? C'est en fait tout le contraire que l'on constate, en tout cas dans des pays lourdement endettés néanmoins bénéficiant d'une monnaie «souveraine», à savoir les Etats-Unis et le Japon... Bref, l'État doit au contraire s'endetter davantage et creuser ses déficits dans le but de rétablir le plein emploi, même si nos gouvernants actuels refusent catégoriquement de faire appel à la dette pour relancer l'activité économique.

Leur seul et unique objectif - ou obsession ? - étant donc d'équilibrer leur budget, tandis que les femmes et les hommes qui nous dirigent devraient plutôt avoir pour ambition de stimuler l'investissement et de réduire les inégalités. Comment défendre encore la rigueur comptable - et donc l'accélération du chômage - quand ils peuvent à la fois user judicieusement et équitablement du levier de la fiscalité ? Les dépenses publiques sont drastiquement revues en baisse alors que les efforts et énergies devraient être concentrés sur la hausse de la taxation des classes aisées, et sur la contribution active de la banque centrale à la reprise de la croissance. À moins que l'argumentation fallacieuse derrière laquelle se dissimulent les tenants de l'orthodoxie ne serve à détourner les attentions de leur motivation réelle, qui reviendrait à faire encore et toujours plus régresser l'État. C'est donc au nom des «réformes structurelles» et des «il n'y a aucune alternative à la rigueur» que l'on sabre allègrement les dépenses sociales, et que l'on oppose un veto dédaigneux à toute création d'emplois qui serait redevable au stimulus étatique. À l'instar de l'ancienne Présidente du MEDEF qui professait que, comme «la vie est précaire, l'amour est précaire, pourquoi le travail ne serait pas précaire ?» Ainsi, les ardents défenseurs d'une finance et de comptes sains exigent que le niveau de l'emploi soit dépendant du seul degré de confiance qui prévaut dans le milieu des affaires, quand il a été maintes fois attesté ces vingt dernières années que la spéculation boursière et financière était la principale raison de la dégradation de la conjoncture économique.

Sous couvert d'une argumentation économique, cette obstination jusqu'au boutiste qui se bat farouchement contre la doctrine du plein emploi masque pourtant de moins en moins bien ses vrais motifs politiques, voire idéologiques. Circonscrire les dépenses publiques strictement aux revenus engrangés par l'État n'est en fait ni plus ni moins qu'une fable morale contée par celles et ceux qui s'érigent en donneurs de leçons ès responsabilité. Derrière leur storytelling qui abuse le commun des mortels à qui l'on fait croire qu'il faut gérer le budget d'un État comme les cordons de la bourse d'un ménage, ces pourfendeurs des déficits préservent très prosaïquement les intérêts de la classe dominante. Celle-là même qui, en voyant tout sous le prisme de l'accumulation et de l'enrichissement matériels, se voyait qualifiée par Keynes de «semi-criminelle» et de «semi-pathologique»... Tout en étant symptomatique de la domination des rentiers sur nos économies, ce diktat de l'austérité révèle également une classe dirigeante et intellectuelle qui ne parvient décidément pas à aborder les fondamentaux économiques sous le bon angle. Pourquoi ne pas en effet intégrer à cette équation de la dette des paramètres aussi déterminants que le niveau des taux d'intérêt et de l'inflation ? Et pourquoi s'obstiner à considérer qu'une économie saine doit forcément être à l'équilibre (budgétaire et comptable) quand une activité économique - par essence dynamique, c'est-à-dire instable - requiert épisodiquement l'intervention lissante des fonds publics ?

Il ne faut donc surtout pas confondre économie et morale, car celles et ceux qui ont besoin d'être soutenus n'ont commis nul pêché.  Avant - bien avant - que de chercher à équilibrer ses comptes, l'État doit avoir pour seule préoccupation de remettre ses citoyens au travail.

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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier "Fauteuil 37" préfacé par Edgar Morin.
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