L'ISF, clé ou verrou pour le Président ?

Par Jean Matouk et Alain Penchinat (*)  |   |  684  mots
(Crédits : Charles Platiau)
OPINIONS. « Ce n'est pas parce que l'on remettra l'ISF comme avant que la situation s'améliorera », a dit le Président de la République. Il ne faut pas, en effet, qu'il en soit question "comme avant" mais qu'en sera-t-il pour après? (*) Par Jean Matouk, économiste, et Alain Penchinat, Président de l'Accélérateur de StartUp de la Région Occitanie.

Il y a deux ans, dans le budget pour 2018, l'impôt sur la fortune a été transformé en maintenant comme assiette les seuls biens immobiliers, excluant donc les actifs financiers. Cette transformation était fondée en théorie économique, car notre pays souffre d'un manque de capitaux pour ses entreprises, petites et moyennes, les plus grandes ayant la possibilité d'émettre des actions en bourse. Nous étions le seul pays à avoir maintenu cet impôt sur la fortune. Il était donc légitime d'espérer qu'une part des fonds d'épargne ainsi soustraite à l'impôt, allait venir gonfler les fonds propres de ces PME et se traduire en investissements supplémentaires, donc créations d'emplois.

Il va bientôt être temps de mesurer le résultat. Mais pour les deux premiers trimestres 2018, la formation brute de capital des entreprises non financières, celles qui doivent se battre sur le marché international, n'est guère dynamique (+0,1% et +0,8%).  Il y a un « acquis » de 2,9% pour la totalité de l'année 2018, contre 4,7% en 2017.

De plus, conséquence inattendue, les dons ont beaucoup souffert aussi de cette réforme. C'est ce que signalent toutes les associations en quête de fonds. Comme si l'existence de l'impôt auparavant avait eu le mérite d'inciter les épargnants à le fuir par le don. La fraternité choisie (par le libre don) n'a pas encore remplacé la fraternité subie (par l'impôt).

Enfin, sur le plan politique, cette réforme a valu au Président le sparadrap injuste de « président des riches » alors qu'il n'avait ainsi dans l'idée, en relançant l'investissement et l'emploi, que de réduire plus vite la base de la pauvreté. Le rétablissement fantasmé de l'ISF financier est un carburant inextinguible pour la grogne en cours. La crise actuelle, inouïe, du Covid-19 rend nécessaire également la correction de cette erreur politique. Le Président de la République, lui-même, a fixé une date qui approche d'analyse et de bilan de cette suppression d'ISF.

Même si économiquement c'est peut-être discutable pour certains, afin de mieux sécuriser politiquement la suite du quinquennat et de continuer les réformes pour l'entreprise, nous suggérons deux voies.

Deux choix possibles

Première voie, celle du rétablissement de l'ISF, mais avec des taux en lien avec les rendements des actifs aujourd'hui. Qui se rappelle qu'en 1984 l'IGF qui avait pratiquement la forme de notre ISF de 2017 (exonération de l'outil de travail, etc.),  les taux étaient les mêmes (maximum à 1,5%) alors que le livret A était à 7% en 1984 contre 0,75% aujourd'hui ? L'impôt était donc devenu fou et on l'a supprimé sans en examiner le taux, seul cause de sa folie, au risque d'une incompréhension totale des Français. Il ne s'agit donc pas de remettre l'ISF comme il y a deux ans et demi... et le Président de la République et son Ministre ont bien raison. Il s'agit de réinventer un impôt à assiette large (en continuant sans doute à exonérer l'outil de travail) et à un taux marginal  en rapport avec les conditions économiques du temps (0,75% ?)

L'autre voie est celle d'une forme d'emprunt obligatoire sur la base de l'assiette de l'ISF et de taux plus raisonnables. Chaque assujetti-épargnant resterait alors propriétaire de ses fonds, qu'il pourrait récupérer au terme de 7 ou 10 ans, et qui seraient, entre-temps, investis par une entité publique, Caisse des dépôts, BPI, voire entités régionales, exclusivement dans des PME d'avenir, voire des « start-up » qui ont tant besoin d'argent en France au risque de les voir partir ailleurs.

Ces deux voies, dont la crise du Covid-19 renforce la pertinence, font coup triple, sécuriser politiquement l'avenir pour poursuivre les réformes et, soit abonder raisonnablement les finances publiques, soit gonfler les fonds propres toujours trop faibles de nos entreprises françaises.

Nous sommes convaincus que reprendre le dossier de l'ISF est une clé pour le Président pour poursuivre les nécessaires réformes, le refuser, par principe, un verrou.

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