La France et l’Allemagne ont besoin l’une de l’autre pour éviter le déclassement technologique et une perte d’influence

Par Françoise Dumas (*)  |   |  978  mots
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OPINION. La coopération franco-allemande aussi bien dans le domaine opérationnel que capacitaire est moteur d'une Europe plus solidaire et souveraine. (*) Par Françoise Dumas, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale.

Depuis 2017, les Européens ont rapproché, à un point jamais atteint jusqu'alors, l'analyse de leur environnement géopolitique. Chacun avec ses spécificités, les Européens reconnaissent désormais qu'ils sont tous confrontés à la menace djihadiste, à un voisinage de plus en plus désordonné et hostile aux valeurs de l'Europe ainsi qu'au durcissement de la compétition entre puissances.

La coopération franco-allemande est moteur d'une Europe plus solidaire et souveraine comme le traité de coopération et d'intégration franco-allemand, conclu à Aix-la-Chapelle le 22 janvier 2019, en témoigne en visant l'approfondissement de la coopération bilatérale de défense, au service d'une Europe plus forte. Pour que ces orientations soient un plein succès, elles doivent, d'une part, tirer pleinement profit des avantages opérationnels comparés de nos forces armées et, d'autre part, réussir le pari d'une coopération capacitaire sans équivalent.

D'abord, tirer profit de nos avantages opérationnels comparés, là où nous sommes conjointement déployés

Les réponses qu'exigent les crises actuelles ne peuvent plus être le fait d'une seule nation européenne. Au Sahel, dans une région vaste comme l'Europe, la France, l'Allemagne et leurs alliés œuvrent de concert pour rétablir la paix, afin d'empêcher cette région du monde de devenir un sanctuaire pour les terroristes islamistes, un foyer de criminalité organisée et le point de départ de millions de migrants jetés sur des routes périlleuses par la pauvreté. La contribution allemande à la mission de formation des forces maliennes par des militaires de l'Union européenne (EUTM) est particulièrement déterminante à cet égard, comme celle à la mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali dont l'Allemagne est le premier contributeur européen. Le déploiement de la Bundeswehr au Sahel est une condition nécessaire aujourd'hui à la réussite de la mission de l'opération Barkhane ; ce n'est pas assez dit.

Je note une autre convergence majeure : tout comme leurs collègues allemands, les parlementaires français sont très attachés à ce que la situation au Sahel fasse l'objet d'une approche partenariale, avec les forces locales, et globale, avec tous les acteurs du développement. Je ne suis pas surprise que la France et l'Allemagne soient à l'origine de l'Alliance pour le Sahel qui soutient plus de 600 projets de développement, favorisant l'accès à l'eau potable, à l'éducation, à l'emploi. Les initiatives défendues de concert par la France et l'Allemagne, notamment sur le « retour de l'État » (justice, présence de l'administration, forces de police) et sur l'aide au développement seront décisives dans les mois à venir pour transformer les succès militaires contre les terroristes en réelles victoires de long terme.

Plus près de nous, d'autres menaces appellent une réponse conjointe. Aux portes de l'Europe, les démonstrations de force et les conflits entre puissances régionales se multiplient. Qu'ils soient régionaux ou instrumentalisés par de grandes puissances, ils sont à l'origine d'une instabilité croissante pour les Européens et peinent à être résolus dans un cadre multilatéral. L'emploi massif de drones armés peu coûteux, le recours fréquent à des mercenaires ou l'usage de stratégies hybrides inaugurent des conflits d'un genre nouveau, plus soudains, plus difficilement lisibles et plus brutaux.

Dans ce contexte, la France et l'Allemagne défendent ensemble le principe d'une Europe forte, capable d'en faire davantage pour sa propre sécurité. C'est le sens de notre engagement pour une « autonomie stratégique européenne », qui n'est pas, comme on l'entend parfois, incompatible avec un engagement fort au sein de l'Alliance atlantique. Pour peser sur l'évolution du monde, pour protéger leur territoire, leurs citoyens et leurs institutions démocratiques, la France et l'Allemagne auront besoin d'une liberté d'action et d'une capacité à agir qui doit être bâtie dès maintenant.

Réussir notre démarche capacitaire commune, ensuite

Pour se maintenir à la pointe de la technologie, ni la France, ni l'Allemagne, ne seront à l'avenir en mesure de réunir seules les ressources nécessaires à l'élaboration des systèmes d'armes de demain, quand bien même elles connaîtraient certains succès à l'exportation. Ce qui est vrai pour la France et l'Allemagne, l'est à plus forte raison, pour les autres nations européennes. Si les deux nations ne coopèrent pas, leurs industries de défense comme l'Europe risque le déclassement.

C'est pourquoi la France et l'Allemagne ont défendu la création de la coopération structurée permanente (CSP) dans le domaine de la défense et une dotation ambitieuse pour le nouveau fonds européen de la défense (FED) qui l'accompagne et se sont enfin engagés en 2017 à concevoir ensemble les systèmes de combat futurs dans les domaines terrestre (MGCS) et aérien (SCAF), en poursuivant ceux déjà engagés notamment l'hélicoptère Tigre. Les retards observés dans la mise en œuvre des projets de coopération bilatérale pourraient cependant compromettre ces succès majeurs.

De nombreuses difficultés sont en effet à déplorer depuis le début des discussions sur ces deux projets, et sur d'autres, qu'il s'agisse du partage des tâches entre nations, du partage industriel, du rythme auquel devraient évoluer les projets, des droits de propriété intellectuelle ou des conditions d'exportation.

Or, l'accélération des bouleversements stratégiques ne permet pas de surseoir plus longtemps au lancement de programmes qui n'aboutiront que dans les vingt prochaines années ou de cultiver des divergences qui nous éloignent d'un objectif pourtant partagé. Chaque jour sans compromis affaiblit l'Europe et accentue les risques qui pèseront sur ceux qui devront la défendre demain. S'il est une illusion dont il faut se défaire, c'est celle que les deux nations ont encore le temps de tergiverser.