La France peut évoluer vers l'indépendance gazière

Par Abel Maniez  |   |  1116  mots
Abel Maniez.
La transition énergétique et la nécessité de réduire les émissions de CO2 pour lutter contre le réchauffement climatique sont une opportunité pour la filière du gaz d'opérer une transition vers un modèle basé davantage sur les gaz renouvelables. Cette filière en a les infrastructures et les capacités à condition que les pouvoirs publics en aient la volonté.

A l'heure où la France s'est engagée à diminuer ses émissions de CO2 en même temps que la part du nucléaire, l'insertion des énergies renouvelables sur le réseau électrique bat son plein. De l'autre côté du réseau, qu'en est-il du gaz et de son rôle complémentaire, voire indispensable, à la Transition Energétique ?

La filière gazière française, historiquement organisée autour d'importations de gaz naturel fossile, ne répond pas  aux objectifs de réduction de CO2 alors que les besoins de gaz en 2050 sont réels. En effet, le gaz émet du CO2 et est amené à se développer dans notre mix énergétique, que ce soit dans les usages de chauffage ou la gestion de la pointe et de l'intermittence du renouvelable. La filière gazière doit ainsi elle aussi réussir sa transition et évoluer vers un modèle centré sur les gaz renouvelables pour atteindre les objectifs de diminution des gaz à effet de serre.

Le modèle gazier actuel incompatible avec les objectifs de la Transition énergétique

Que ce soit pour le chauffage, la cuisson, les transports ou la production d'électricité, le gaz est une énergie aux multiples usages dont les débats sur l'approvisionnement français sont rarement abordés. Pourtant,  le gaz naturel est une énergie fossile, émettrice de gaz à effet de serre et surtout massivement importée pour couvrir la quasi-totalité de la consommation française. Si nous suivons donc les enjeux climatiques et les engagements de la France via la Loi de Transition énergétique, le gaz devrait donc être amené à disparaître de nos usages alors même que sa substitution au pétrole dans les transports et au charbon dans la production d'électricité pourrait aider à remplir les objectifs de la France en diminution des émissions de CO2.

Le modèle gazier actuel, basé sur des importations massives de gaz naturel, n'est donc pas adapté à la transition énergétique mais reste indispensable à sa réussite compte tenu de son potentiel de flexibilité et des actifs déjà disponibles pour qu'il remplisse ce rôle. En effet, avec une capacité de stockage équivalente à trois mois de consommation, le réseau de gaz est complémentaire au développement des énergies renouvelables et a un rôle majeur à jouer dans les synergies du futur modèle énergétique en apportant une forte flexibilité.

Une solution à ce paradoxe pourrait résider dans le verdissement du système gazier, c'est-à-dire dans la substitution de ce gaz naturel fossile à un biogaz non émetteur de CO2 et produit sur notre sol.

L'intégration de gaz renouvelables

Les infrastructures gazières françaises présentent la particularité d'avoir déjà vécu plusieurs transitions énergétiques. Au milieu du XXe siècle, les infrastructures de gaz qui accueillaient du gaz de ville constitué d'hydrogène se sont adaptées pour acheminer du gaz naturel. Avec le développement de gaz renouvelables et l'existence de réseaux adaptables, la filière gaz possède de nombreux atouts pour faire évoluer son modèle vers l'intégration de gaz renouvelables.

  • Les déchets organiques transformés en biogaz via la méthanisation constituent déjà une solution mature et décentralisée permettant à la fois de produire du combustible et du carburant. En 2017, on comptait près de 35 sites d'injection de biométhane dans les réseaux de gaz pour une production représentant 0,05 % de la consommation française de gaz,
  • Les déchets de biomasse solide gazéifiés permettent de produire un gaz de synthèse en grande quantité et en continu via d'importantes unités de production centralisées. Ainsi, le démonstrateur GAYA près de Lyon dispose d'une capacité de 20 MW,
  • Quant aux excédents d'électricité renouvelable, ils peuvent être convertis en hydrogène gazeux et servir les mécanismes d'ajustement du réseau électrique pour pallier l'intermittence de l'électricité renouvelable. Deux démonstrateurs d'une capacité d'1 MW sont en tests actuellement à Dunkerque et à Fos-sur-Mer.

Ce nouveau mix gazier s'appuyant la complémentarité d'installations centralisées et décentralisées permettrait à la France de disposer d'une capacité de production lui assurant entièrement son indépendance gazière.

Le potentiel de production issue des gaz renouvelables permettrait à la France
de couvrir l'intégralité de sa consommation finale de gaz en 2050

Couvrir l'intégralité de la consommation finale de gaz en France en 2050

En utilisant ses infrastructures pour faire circuler du gaz issu du recyclage des déchets et des surplus d'électricité renouvelable, la filière gaz permettrait de satisfaire les besoins en énergie tout en apportant la flexibilité manquante au système électrique. Cet essor de la production renouvelable en France entrainerait une mutation profonde de la chaine de valeur du gaz qui devra s'adapter à une production décentralisée, à des flux bidirectionnels et à la fin des importations de gaz.

Ce changement de modèle, dans un secteur hautement politique, est directement lié à la volonté des pouvoirs publics et des acteurs du secteur. La perception et l'image du gaz doivent changer pour que cette énergie fasse partie intégrante de la politique énergétique française.

La nécessité d'un engagement public

Les difficultés liées à l'atteinte de l'objectif affiché de 8 TWh de gaz renouvelables injectés dans les réseaux en 2023 constituent un bon indicateur des progrès restant à accomplir. En effet, la filière du biogaz fait face à une forte hétérogénéité des sources d'approvisionnements et de leur qualité qui complexifie le développement d'un projet. De même, les démarches administratives pour obtenir le droit d'injecter sont longues et peuvent constituer un véritable frein. Le financement des projets de méthanisation peut être compliqué entre les réticences des investisseurs privés et le coût lié au dossier de montage et à l'accès aux subventions. Tout comme les projets de construction d'éoliennes, les projets de biogaz peuvent également se heurter à la réticence des riverains et provoquer un syndrome « Not in my back yard ».

La mise en place d'un cadre de régulation suffisamment incitatif et cohérent permettrait d'attirer et d'orienter les investissements vers la construction d'unités de production de gaz renouvelable. Un engagement public vers davantage d'aide au financement des projets et la simplification des démarches administrative inciterait sans doute la filière gaz à préparer sa mutation de façon sereine et la pousserait à capitaliser sur les retombées financières liées à la hausse attendue de la demande en gaz naturel.

* L'intégralité de l'étude de Colombus Consulting
sur l'indépendance gazière est disponible ici.