La guerre commerciale n'aura pas lieu !

Par Michel Santi  |   |  746  mots
Michel Santi, économiste. (Crédits : DR)
OPINION. Si la guerre commerciale avec les États-Unis s'intensifiait, l'une des options de la Chine pourrait consister à déclencher sa "bombe atomique", à savoir se délester de ses gigantesques avoirs en bons du Trésor américain provoquant ainsi en théorie un effondrement du dollar. Mais pas si simple car Trump sait pourquoi la Chine a plus besoin des États-Unis que l'inverse... Par Michel Santi, économiste (*).

La Chine n'est pas une nation belliqueuse. La guerre, pour elle, consiste à développer à outrance ses relations commerciales. Autrement dit, la défense de ses intérêts économiques est, pour la Chine, une extension de la guerre. Quant à son option nucléaire dans le cadre d'une intensification du conflit commercial l'opposant aux États-Unis, elle serait de se délester de ses avoirs massifs en bons du Trésor américain provoquant ainsi en théorie un effondrement du dollar.

Pourtant, la Chine ne détient (selon les chiffres officiels) que 1.130 milliards de dollars (USD), une fraction de l'encours global des 22.000 milliards de dollars de dette américaine. Elle est parfaitement au fait, par ailleurs, que les «T-Bonds» ne sont qu'un substitut du cash... qu'elle devra bien placer d'une manière ou d'une autre le jour - hypothétique - où elle aura liquidé ses réserves en dette américaine.

Le piège des "T-Bonds"

Elle est donc face à un problème de taille car de telles sommes sont impossibles à investir dans d'autres monnaies et vers d'autres destinations offrant le même degré de liquidité que respectivement le billet vert et le marché américain. Seul le dollar permet en effet, pour les investisseurs et pour les entreprises du monde entier et à plus forte raison de Chine, de traiter en toute sécurité et sans crainte de volatilité excessive, les matières premières, le pétrole, le marché international de la dette...

Aussi, les banques centrales du monde entier - principalement celles aux économies fragiles - détiennent-elles principalement les bons du Trésor US qui remplacent virtuellement le cash et qui, en outre, ont l'avantage de payer un intérêt. La Banque de Chine verrait donc une longue liste de prétendants désireux de se porter acquéreurs de ses bons du Trésor US le jour où elle aura décidé de s'en dessaisir, acheteurs qui seraient comblés de pouvoir augmenter leur propre stock en dette américaine.

Le marché obligataire US représente effectivement un outil idéal à disposition des banques centrales car il autorise une liquidité immédiate dans une conjoncture où elles souhaiteraient vendre rapidement ces actifs afin (par exemple) de stabiliser leur monnaie. La dette souveraine américaine est ainsi une authentique valeur refuge pour la totalité des nations émergentes ou en développement, comme elle l'est pour la Chine elle-même qui, pour protéger ses propres intérêts vitaux, devra impérativement trouver des placements alternatifs offrant les mêmes niveaux de stabilité, de liquidité, de rentabilité et de flexibilité.

Trump sait que la Chine a plus besoin des États-Unis que l'inverse

Par ailleurs, l'hypothèse où elle liquiderait ses bons du Trésor américain (qui seraient immédiatement absorbés par les émergents, mais également par le Japon et par l'Europe), en conservant néanmoins le produit de ces ventes en dollars, verrait les banques du monde entier détenant les dépôts chinois... les réinvestir sur le marché de la dette US privé et public peu risqué et rémunérateur ! Seule une dévaluation substantielle de sa monnaie (le yuan) lui permettrait de contrecarrer, voire de neutraliser, les barrières douanières américaines en propulsant ses exportations vers ce pays. Si ce n'est que l'effet collatéral d'une telle manipulation du yuan induirait une réaction en chaîne affectant sévèrement et la dette publique chinoise et les débiteurs privés chinois, accompagnée d'un effet domino sur l'ensemble de la région.

En somme, les mesures de rétorsion à disposition des Chinois sont plus que limitées dans cette confrontation les opposant à l'administration Trump qui durcit désormais le ton, consciente que la Chine a bien plus besoin des excédents américains que les États-Unis ont besoin du commerce et des finances chinoises. Dans son contexte actuel fait d'endettements massifs, de contrôle des capitaux et de dépendance aux exportations vers les États-Unis, la Chine n'a aucune chance de prévaloir. La guerre commerciale entre ces deux pays n'aura donc pas lieu, car la Chine l'a en fait déjà perdue.

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(*) 1 trillion = 1 milliard de milliards

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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.

Il vient de publier «Fauteuil 37» préfacé par Edgar Morin

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