La peur  : arme marketing de la grande distribution alimentaire

Par Gérard Kafadaroff  |   |  1270  mots
Gérard Kafadaroff.
La peur alimentaire du consommateur nourrie par les risques supposés soulevés par certains groupes écologistes est maintenant entretenue par le marketing des grands groupes de distribution au mépris des études et avis des grandes agences sanitaires. Par Gérard Kafadaroff (*), ingénieur agronome, fondateur de l'AFBV (Association française des biotechnologies végétales), auteur de « OGM : la peur française de l'innovation » (éd. Baudelaire).

Depuis plusieurs années, des groupes de pression écologistes et politiques soutenus par une grande partie des médias, par de pseudo-experts auto-proclamés et des responsables politiques pusillanimes, répandent la peur dans la société.

Malgré les progrès nutritionnels, l'hygiène alimentaire, la sévérité des contrôles sanitaires, les produits alimentaires restent une cible de choix pour les marchands de peurs. La grande distribution alimentaire instrumentalise cette peur à son profit. Le marketing du "sans" fleurit dans les linéaires des supermarchés et la publicité accrocheuse s'empare du "sans OGM",  "sans huile de palme", "sans gluten", "sans parabène", "sans conservateur"...

Paranoïa alimentaire

Toutes ces allégations négatives entretiennent la paranoïa alimentaire et développent un climat de méfiance chez les consommateurs susceptible de se retourner à terme contre la grande distribution alimentaire ! Cette dernière prend le risque de financer des associations militantes opposées aux pesticides et aux OGM pour contribuer au développement du marché bio plus rémunérateur. Carrefour et Auchan financent le CRIIGEN* dont les études médiatisées et à charge contre les OGM et le désherbant Roundup® sont régulièrement contestées par la communauté scientifique. Plusieurs sociétés de distribution de produits bio, comme Biocoop, participent au financement de l'association Générations futures, fer de lance de l'opposition aux pesticides.

En octobre 2010, Carrefour lançait une grande opération marketing  "nourri sans OGM" sur 300 produits de sa marque issus de l'élevage. Opération saluée par José Bové, Greenpeace et WWF. Cette initiative se voulait rassurante pour les consommateurs. Mais combien de consommateurs savent-ils qu'aucun produit alimentaire issu d'animaux nourris avec des OGM (viande, lait, œufs) ne peut en contenir des traces (ADN ou protéines) ?

Le bio, un marché porteur et rentable

Les aliments bio perçus sans pesticides ni OGM sont considérés bénéfiques pour la santé et l'environnement et sont indéniablement devenus un secteur de marché porteur et rentable pour l'ensemble des grands groupes alimentaires. 
Autant d'acteurs qui préfèrent effacer les réels risques sanitaires des produits estampillés AB, en particulier les contaminants biologiques tels que les mycotoxines, les salmonelles ou les bactéries. Qui ose oublier qu'une souche mutante et pathogène d'Escherichia coli a causé une cinquantaine de décès en Allemagne en 2011 ?
Les députés qui, en novembre 2016 votaient l'introduction de 20% d'aliments bio dans les cantines scolaires l'ignoraient-ils ? Autant qu'Emmanuel Macron, aujourd'hui, qui fait la promesse de porter à 50% les produits bio dans la restauration collective.

Quels experts?

L'opération marketing lancée à grand renfort de publicité en janvier 2017 par le groupe Système U, visant l'éradication de  "90 substances controversées" dans les produits de sa marque, constitue une nouvelle et inquiétante dérive de la grande distribution alimentaire. Le PDG de Système U affirme que ces 90 substances incriminées sont le fruit de 5 ans de recherches d'experts. Quels experts ? Leurs identités ne sont pas communiquées. Pas plus que leurs études. A l'évidence, elles s'inspirent des arguments fallacieux martelés par les écolos les plus radicaux ! Se retrouvent donc sans surprise dans cet «inventaire à la Prévert», pêle-mêle les OGM, les pesticides dont le glyphosate, l'huile de palme, l'aspartame, les parabènes...

S'agissant des OGM, les "experts" mandatés par le groupe Système U accordent tout crédit aux rumeurs colportées par les opposants aux OGM et écartent les avis des instances d'évaluation françaises, européennes et internationales réunissant les meilleurs experts  scientifiques. Vingt ans d'utilisation massive des OGM dans le monde sans problèmes sanitaires et environnementaux ! Insignifiant pour les "experts" Système U ? Sont-ils aveuglés par leurs convictions militantes, adeptes du déni de réalité ou à la solde du groupe Système U ?

Un oubli de taille

La stigmatisation du glyphosate (matière active du Roundup®) procède de la même démarche pernicieuse. Ce désherbant utilisé depuis plus de 40 ans sur tous les continents a prouvé, au-delà de son intérêt agronomique, sa totale innocuité sanitaire confirmée par toutes les agences sanitaires et organismes consultatifs du monde dont récemment, en mai 2016, l'OMS* et la FAO*. Il aura fallu, en 2015, une seule étude contestée du CIRC* classant le glyphosate "cancérogène probable" pour offrir aux activistes écolos (et à Ségolène Royal !) l'opportunité de stigmatiser le glyphosate et au Système U de l'inclure dans la liste des 90 produits à faire disparaître des produits de sa marque.
N'y aurait-il pas un oubli de taille dans cette liste noire ? La viande rouge classée "cancérogène probable groupe 2A" comme le glyphosate ? Ou la charcuterie classée plus sévèrement "cancérogène probable groupe 1" ? Les magasins U abandonneront-ils la vente des produits carnés en tant que produits "controversés" ? C'est peu probable.
Soucieux de la santé de leurs clients, arrêteront-ils la vente de boissons alcoolisées ? De marque U ou pas, ne sont-elles pas responsables de 45.000 décès par an en France, deuxième cause de mortalité ?

Les avis des instances officielles d'évaluation ignorés

Le marketing de la peur n'a pas de limites sinon celles imposées par les impératifs du business. Dans sa frénésie de gain de parts de marché, la grande distribution alimentaire  joue un jeu dangereux. En ignorant les avis des instances officielles d'évaluation de sécurité sanitaire, en s'associant sans discernement avec les marchands de peur, elle crée une grande confusion au sein de la population et construit le nid des imposteurs et des chantres du populisme.
Certaines associations de consommateurs participent à cette diabolisation des produits «controversés ». En s'appuyant  sur une expertise scientifique reconnue, elles gagneraient en crédibilité auprès des citoyens perdus dans une avalanche d'informations alarmistes et contradictoires.

La grande distribution alimentaire a un impact économique considérable. Les six plus grandes enseignes (Carrefour, Auchan, Casino, Leclerc, Intermarché, Système U) représentaient en 2015 près de 300 milliards d'euros. Le seul groupe Carrefour avec 86 milliards d'euros de chiffre d'affaires est 6 fois plus important que celui de Monsanto, constant bouc émissaire du lobby écolo.

"L'ère post-vérité"

La puissance marketing de la grande distribution alimentaire influence fortement les comportements des consommateurs. En s'éloignant de la réalité, en donnant du crédit à des rumeurs sans fondement, en s'exonérant de l'expertise scientifique, en privilégiant les croyances et les raccourcis émotionnels trompeurs,  elle contribue à l'affaiblissement du comportement rationnel des consommateurs et du citoyen.
L'opération Système U est une illustration nouvelle de l'entrée dans « l'ère post-vérité où les faits objectifs ont moins d'influence pour modeler l'opinion publique que les appels à l'émotion et aux opinions personnelles», selon la définition qu'en donne le dictionnaire d'Oxford ! Un état de «post-vérité », une société de désinformation, bien peu compatibles avec la démocratie !

*CRIIGEN : Comité de recherche et d'information  indépendantes sur le génie génétique
* OMS : Organisation mondiale de la santé, institution des Nations Unies
* FAO : Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture
* CIRC : Centre international de recherche sur le cancer, créé par l'OMS

(*) Gérard Kafadaroff est Ingénieur agronome, ancien cadre de l'agro-industrie, fondateur de l'AFBV (Association française des biotechnologies végétales), auteur de plusieurs livres dont le dernier « OGM : la peur française de l'innovation » préface Professeur M.Tubiana, ancien Président Académie de Médecine ; Editions Baudelaire 2013 (version numérique et actualisée fin 2015)