La piétonnisation du centre de Paris est-elle une bonne idée ?

Par Lea Bou Sleiman, Patricia Crifo, Benoit Schmutz (*)  |   |  1150  mots
(Crédits : Charles Platiau)
OPINION. Quel est le vrai bilan en terme de qualité de l'air pour les habitants de Paris et de la région parisienne de la fermeture des "voies sur berges" menée par Anne Hidalgo et sa majorité municipale. A l'heure où la maire de Paris prépare les esprits à la piétonnisation du centre de la capitale, de nouvelles données montre un report de la pollution automobile sur le périphérique Sud et ses riverains.

La Mairie de Paris a annoncé le 12 mai dernier son intention de rendre le coeur
historique de Paris (Ier, IIe, IIIe et IVe arrondissements) presque entièrement piéton
en 2022 et a lancé une consultation sur le sujet. Les opposants à cette initiative
craignent ses potentiels effets au voisinage de l'hypercentre de la capitale. Ces débats
ravivent les controverses qui ont émaillé l'une des mesures les plus emblématiques
du premier mandat d'Anne Hidalgo (2014-2020) : la fermeture d'une partie de la voie
Georges-Pompidou en septembre 2016.

A l'époque, l'impact environnemental de cette fermeture faisait l'objet de vives
critiques, notamment par la région Ile-de-France qui avançait que la fermeture de ce
tronçon à la circulation n'avait fait que déplacer le problème de la pollution. Pour
éclairer cette question, nous nous appuyons ici sur les résultats d'une note publiée par
l'Institut des Politiques Publiques montrant les conséquences de la fermeture de la
voie Georges-Pompidou sur les conditions de circulation sur le boulevard périphérique
et discutant l'exposition à la pollution des résidents aux abords de ces voies.

Retour sur la saga de la fermeture des voies sur berges entre 2016 et 2019

La piétonisation des voies sur berges correspond à la fermeture d'un segment de 3,3
km de la voie Georges-Pompidou, une voie rapide le long de la rive droite de la Seine.
Cette décision a été prise à la suite d'une délibération du Conseil de Paris le 26
septembre 2016 déclarant l'intérêt général de l'opération d'aménagement des berges
de la rive droite de la Seine, puis d'un arrêté municipal le 18 octobre 2016 créant une
promenade publique sur l'emplacement de la voie Georges Pompidou, en avançant
comme raison principale la lutte contre la pollution atmosphérique. Ce premier arrêté
est annulé par une décision du tribunal administratif de Paris le 21 février 2018, en
raison notamment des inexactitudes et insuffisances dans l'étude d'impact du projet
notamment dans l'évaluation des reports d'itinéraires au-delà de l'hypercentre
parisien. Un second arrêté est alors pris par la Ville de Paris le 6 mars 2018 pour
maintenir la piétonisation, cette fois-ci à des fins esthétiques et touristiques. Après
plusieurs recours, ce second arrêté est finalement validé par le tribunal administratif le
25 octobre 2018 et confirmé en cour administrative d'appel le 21 juin 2019.

Comment estimer l'effet de la fermeture sur les flux de circulation alentour ?


La voie Georges-Pompidou était la seule voie rapide à traverser la ville d'Ouest en
Est. Et jusqu'en 2016, cette route était empruntée par environ 40 000 véhicules par
jour pour des déplacements intra-muros ou de banlieue à banlieue. L'une des
principales conséquences de cette fermeture est donc l'existence possible de reports
de la circulation depuis la voie fermée jusqu'au boulevard périphérique et ses abords
au Sud-Ouest, avec des effets significatifs potentiels sur la pollution sonore et
atmosphérique pour les riverains.

Pour établir un véritable effet causal de la fermeture des voies sur berges sur la
circulation automobile aux alentours (les fameux effets de report), il faut pouvoir
comparer les évolutions du trafic sur des voies directement affectées par la fermeture
(sur lesquelles le trafic est susceptible de se reporter, on l'appelle le « groupe traité »)
à celles des voies seulement indirectement affectées (sur lesquelles il y a peu d'effets
de report, on l'appelle le « groupe témoin »). Pour cela, on considère le trafic routier
sur le boulevard périphérique car c'est un axe à grande vitesse, qui représente un bon
substitut à la voie Georges-Pompidou fermée, notamment dans sa partie sud. Le
groupe traité correspond alors aux voies dans le même sens de circulation que la voie
Georges Pompidou (vers l'Est - périphérique extérieur Sud et périphérique intérieur
Nord), et le groupe témoin correspond aux voies en sens inverse (vers l'Ouest -
périphérique intérieur Sud et périphérique extérieur Nord).

On calcule ensuite l'écart de trafic entre les deux groupes, en utilisant les données de
trafic routier issues des capteurs permanents, disponibles sur opendata.paris.fr, et qui
permettent de mesurer le taux d'occupation (qui correspond à la probabilité qu'un
véhicule passe à chaque instant sur le capteur) et le débit du trafic sur des centaines
de fractions de voies, ou arcs, pour chaque heure de chaque jour depuis 2013. Ces
données permettent notamment de calculer un indicateur de congestion du trafic, qui
capture les situations d'embouteillages.

L'impact de la piétonisation sur le trafic routier et la pollution

Nos résultats montrent que la fermeture de la voie Georges-Pompidou a détérioré le
trafic sur le boulevard périphérique en direction de l'Est par rapport au périphérique en
direction de l'Ouest en augmentant la probabilité de congestion de +15% par rapport
à l'année précédant la fermeture, notamment en journée et en semaine, donc surtout
pour des trajets domicile-travail.

Nous en déduisons que la fermeture a réduit la vitesse moyenne de 1,7km/h sur les
voies du groupe traité, et jusqu'à 3,1 km/h sur les voies traitées du boulevard
périphérique sud. Comment se traduisent ces résultats en termes de temps de trajet ?
Prenons une traversée complète de Paris d'Ouest en Est, désormais accomplie sur le
périphérique Sud : l'automobiliste qui accomplissait ce trajet sur la voie Georges-
Pompidou et se rabat sur le périphérique sud a perdu 6 minutes suite à la fermeture ;
quant à l'automobiliste qui accomplissait déjà ce trajet sur le périphérique Sud, il a
perdu deux minutes à cause de la dégradation des conditions de circulation causée
par l'arrivée d'une partie des anciens usagers de la voie Georges-Pompidou.

En termes de pollution atmosphérique, la baisse de la vitesse de circulation causée
par la fermeture des voies sur berge a sans doute (les données statistiques sont de
moins bonne qualité) conduit à une augmentation des émissions le long du
périphérique sud. En intra-muros en revanche, la pollution a baissé le long de la voie
Georges Pompidou, mais pas partout : en particulier, au niveau du segment
piétonnisé, la pollution a pu augmenter sur les "quais hauts".

Si l'on cherche à traduire ces résultats en termes d'exposition à la pollution au NO2 de
la population résidant à proximité immédiate des principales voies concernées (voie
Georges-Pompidou et périphérique Sud), on peut en déduire que la population
résidente potentiellement affectée par une dégradation de la qualité de l'air ambiant
est environ deux fois plus nombreuse que la population résidente profitant d'une
amélioration.

Quelle leçon pour le projet de piétonisation de Paris centre ?


Ces résultats de court terme ne remettent pas en cause en soi les politiques de
piétonisation des axes de circulation, ils invitent surtout à s'attaquer à la dépendance
profonde à l'automobile avec des mesures complémentaires (transports publics,
parkings, péages urbains etc) et à mettre en place une gouvernance élargie des
politiques publiques environnementales à l'échelle de l'agglomération parisienne.


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Références
Léa Bou Sleiman, Patricia Crifo, Benoit Schmutz, 2021, Des centres-villes plus verts
des banlieues plus grises, Note IPP n°65