La Russie, une puissance pauvre

Par Michel Santi  |   |  729  mots
(Crédits : POOL)
CHRONIQUE. En termes de sanctions à son encontre, la Russie est tout particulièrement vulnérable dans le domaine technologique. Par Michel Santi, économiste (*)

Cette dépendance technologique remonte à loin, à l'époque soviétique en fait, car - si l'URSS exportait en nombre plus de machines et de machines-outils qu'elle en importait - la valeur de ces importations dépassait de 7 voire parfois de 10 fois la valeur de ses exportations en machines. Ce schéma se perpétue de nos jours, car le pays ne peut manufacturer de machineries sophistiquées, en partie pour avoir laissé tomber en déliquescence ce qui restait de capacités industrielles héritées de l'époque communiste.

La hausse des prix pétroliers - du moins durant les deux premiers mandats de Poutine - a achevé de condamner ce savoir-faire, car la Russie a privilégié et de très loin l'investissement dans la production d'énergie, non sans faire massivement appel pour y parvenir à des achats pharaoniques de technologie étrangère. Les entreprises russes du secteur importent en effet plus de la moitié de leurs équipements à cet effet, et même 90% de leurs besoins dès lors qu'il s'agisse de technologie offshore et de fracking (fracturation hydraulique, Ndlr). La défense russe elle-même importe toujours près de 30% de son électronique de pointe. Si l'industrie nationale produit, par exemple, plus de 80% de ses besoins en termes de construction, de cimenteries et de grues, elle doit en revanche importer 100% de ses machines à laser et aux ultrasons. Bref, la politique déterminée visant à progressivement substituer les importations par la production nationale grâce aux investissements s'est révélée à ce jour un échec. Tout le monde a en mémoire cette visite en 2018 du Président Poutine à une usine de machines-outils ayant pour but d'illustrer la réussite de ces programmes de relance industrielle et technologique... jusqu'à ce que des experts s'aperçoivent que Poutine posait en réalité (probablement sans le savoir) près d'une machine «Made in Italy» repeinte et vendue au double du prix comme étant fabriquée en Russie.

Un déficit de technologies

De fait, l'Union européenne est le plus important fournisseur de la Russie en équipements sophistiqués et ce n'est pas la Chine qui est prête à prendre la relève, même si ses propres équipements sont vendus en moyenne 1.000 dollars contre 100.000 pour leurs équivalents allemands ou suisses. Car la Chine manque cruellement de cette technologie dont a besoin la Russie, comme des composants pour ses jets que la Chine importe à 40% d'Europe et des États-Unis. Processeurs, puces et autres instruments de pointe indispensables, par exemple, au système satellitaire russe - GLONASS - permettant d'opérer à la fois le GPS et les missiles de défenses russes ne peuvent tout simplement pas être achetés en Chine, car elle ne les produit pas, contraignant ainsi la Russie à freiner ses propres programmes. Sur le plan financier également - crucial pour la Russie - la Chine ne prend pas non plus de risques excessifs, car aucune banque de ce pays n'a rejoint le système de paiement alternatif à SWIFT créé par la Russie qui a massivement réduit ses propres réserves en dollars, et ce tandis que la Chine conservait les siennes libellées en monnaie américaine identique. En réalité, la Chine s'est pour solde retirée financièrement de la Russie ces dernières années, car elle y finance 75% de moins du secteur énergétique, pourtant fondamental pour la Russie.

Cette grande faiblesse de l'économie russe est structurelle, car l'activité y est contrôlée par quelques conglomérats, concentrés dans peu de régions, qui sont la propriété de l'État ou d'une minorité infinitésimale de personnages tous reliés les uns aux autres et dépendants les uns des autres. Dans un tel contexte ravagé, pas du tout productif, alors que même préalablement à la Covid les prix alimentaires avaient flambé de plus de 30% à cause des sanctions et d'un secteur agricole lui aussi déficient, comment la Russie parviendra-t-elle à survivre avec de nouvelles sanctions qui se préparent ?

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
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