Pour la Chine, les bonnes nouvelles sont de mauvaises nouvelles

OPINION. Les excédents commerciaux chinois battent tous leurs records historiques. En dépit de la stagnation de la consommation nationale, la Chine engrange des surplus commerciaux de l'ordre de 94 milliards de dollars par mois. Cette bonne nouvelle n'en est pourtant pas une car la corrélation est étroite entre balance commerciale et consommation intérieure d'une nation. Par Michel Santi, économiste (*)
(Crédits : Thomas Peter)

Les chiffres faramineux de la Chine ne reflètent en rien la puissance industrielle du pays. Ce ballonnement de son excédent commercial ne fait, en réalité, qu'attester de ses grandes difficultés à équilibrer son économie et à tenter de maîtriser son endettement colossal. Si la Chine a quasiment doublé son excédent commercial en deux ans, c'est pour une raison mécanique simple, car ses exportations ont augmenté en comparaison de ses importations qui subissent une chute libre du fait de la consommation nationale en berne. Et si l'accélération des exportations d'un pays représente généralement une bonne nouvelle macroéconomique pour lui, la Chine ne peut ni de doit se réjouir de ses excellents chiffres qui sont avant tout le symptôme de déséquilibres persistants - voire endémiques - des revenus au sein de sa population.

Tout au plus, les excédents commerciaux chinois permettent-ils de maintenir la production - et donc d'éviter les licenciements - dans un contexte d'endettements qui vont en s'aggravant. La Chine en est effectivement parvenue aujourd'hui au stade où elle ne peut plus contrôler la spirale de sa dette que par un excédent commercial massif, lui-même provoqué par une consommation intérieure en constant déclin. L'impasse où se retrouvent aujourd'hui les dirigeants politiques chinois ayant bien saisi les limites du modèle de croissance de leur pays les contraint à tenter d'adopter une stratégie de double circulation, c'est-à-dire d'exportations en hausse combinées - et complétées- par une demande agrégée intérieure qui serait relancée avec détermination.

Un problème structurel

Nul plan cohérent n'a pourtant été adopté en ce sens et à ce jour, car la Chine souffre d'un problème structurel, qu'elle partage d'ailleurs avec les grands pays exportateurs comme le Japon et l'Allemagne. En effet, la compétitivité de ces pays porte en elle les germes de sa propre contradiction et de sa propre précarité, car leurs exportations ne sont concurrentielles qu'à la condition que leurs travailleurs reçoivent la plus petite quotité possible par rapport à leur production. Les nations affichant avec morgue et fierté des excédents chroniques et durables de leurs exportations sont donc également celles où les prestations sociales et, où les salaires sont les plus bas, en tout cas bas en comparaison de leurs partenaires commerciaux. Très important pays exportateur, la Chine n'échappe évidemment pas à cette schizophrénie macroéconomique qui exige que cette compétitivité se réalise sur le dos et aux dépens de ses travailleurs qui s'en retrouvent sinistrés sur le plan de leur pouvoir d'achat. Des nations aussi diverses que le Vietnam, la Chine, l'Allemagne et le Japon doivent ainsi leurs succès commerciaux à l'exportation au fait de redistribuer à leur population, à leurs ménages et à leurs salariés une proportion de leur Produit intérieur brut nettement plus réduite que leurs clients. Ces champions à l'exportation souffrent également tous de la même fragilité intrinsèque consistant en une consommation stagnante, voire anémique, du fait d'une redistribution volontairement défaillante.

"A la chinoise"

Plus grave encore en Chine est la redistribution de son PIB en faveur de ses citoyens qui n'est que de l'ordre de 55% alors que les pays occidentaux en reversent en moyenne 75% à leurs ménages. Un second défaut structurel - majeur celui-là - vient se greffer aux inégalités choquantes de ce pays, à savoir que l'État conserve pour lui environ 45% du PIB national qu'il destine aux entreprises et aux gouvernements locaux. La relance de la consommation chinoise passera donc nécessairement par une diminution des subsides accordées à ces deux acteurs, et notamment de celles avalées et très mal gérées par les différentes provinces qui accumulent déjà quelques 5.000 milliards de dollars de dettes. Comme il serait délicat de retirer ces aides au monde de l'entreprise déjà malmené par diverses faillites retentissantes et autres problèmes de solvabilité, c'est les gouvernements locaux de la Chine qui doivent aujourd'hui s'attendre à un assèchement progressif de la manne distribuée par Pékin et ce malgré leur endettement ayant déjà flambé de 25% en deux ans.

La stabilité financière chinoise s'en retrouve fondamentalement compromise. D'où les exhortations à la «prospérité commune» des autorités centrales pour pointer du doigt "à la chinoise" la quadrature du cercle qu'elles se doivent de solutionner sans trop attendre, avec tous les risques politiques inhérents.

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
Sa page Facebook et son fil Twitter.

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Commentaires 6
à écrit le 17/03/2022 à 13:03
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La Chine, le Viet-Nam, l'Allemagne et le Japon "doivent ainsi leurs succès commerciaux à l'exportation au fait de redistribuer à leur population, à leurs ménages et à leurs salariés une proportion de leur Produit intérieur brut nettement plus réduite...

à écrit le 04/03/2022 à 16:17
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Donc tout va bien Mme la marquise. La Chine communiste est dans une situation catastrophique (8% de croissance en 2021, et 4% en 2020) avec un excédent commercial pharaonique et la France avec un déficit commercial explosif se porte à merveille.......

à écrit le 07/02/2022 à 12:59
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Un excédent commercial aussi faramineux soit-il n’est pas gage de réussite pour la population du pays. A ces excédents commerciaux s’ajoutent l’excès d’épargne des habitants qui doivent mettre de coté pour leurs retraites mais avant tout pour 2 autre...

à écrit le 06/02/2022 à 11:47
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Article très intéressant … car en Occident on ne regarde que certains chiffres qui arrangent .. et pas d autres la chine est endetté a 225% de son pib , comme le Japon…, la seule différence c est que cet endettement est détenu majoritairement pays sa...

à écrit le 03/02/2022 à 8:16
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La chine n'est pas l'occident, vest in pays qui vise sa propre évolution et cela bien entendu à la chinoise. La comparaison nicest pas raison.

à écrit le 02/02/2022 à 18:05
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Pour mieux connaître la Chine, lisez les trois récits de Jean Tuan (auteur de l'excellent "Mémoires chinoises", épuisé mais qui ressortira en 2022 en version revue et augmentée avec le titre "Un siècle chinois" chez CLC Editions). Il utilise le genre...

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