Le revenu universel est-il une solution progressiste pour évoluer vers une société nouvelle ?

Par Didier Curel (*)  |   |  1021  mots
(Crédits : Benoit Tessier)
OPINION. La réponse à cette question est catégorique pour les partisans comme pour les opposants au revenu universel. Oui bien sûr, pour les premiers. Non, évidemment non, pour les seconds. Objectivement nous constatons que ces positions nettes et impulsives reposent plus sur un sentiment nourri de croyances et d'idéologies que sur une réflexion profonde et objective. Par Didier Curel, Auteur (*)

Posée sur la table il y a des siècles, notamment dans l'UTOPIE de Thomas More (1615), l'idée de la rente universelle a fait son chemin au fil des décennies mais n'a jamais été plus probable qu'en ce début de millénaire. Au XXe siècle, le « tout argent » a pris la place prépondérante dans la société, abondant un système économique censé libérer l'homme. Sur l'autel de cette liberté scripturale, ce même homme a sacrifié sa liberté d'humain. Soumis à l'argent roi, il se doit d'en acquérir, certes pour « gagner sa vie », mais aussi et surtout élever son rang social. La valeur argent possédée se transfère comme par magie en valeur humaine, donnant à son possesseur une vertu de réussite, dite sociale. Je possède donc je suis !

Peu importe la pensée, le savoir ou le faire, l'avoir est la seule valeur de l'homme d'aujourd'hui. Ceux qui n'ont pas ne sont que de petites mains ne méritant rien d'autre que du mépris. Oui mais, quand les temps deviennent difficiles alors le savoir-faire s'impose de fait et tend à reprendre sa place. Les « basses besognes » humaines redeviennent essentielles, les penseurs sont sollicités, l'agir devient la valeur. Là où le soignant et le livreur, le producteur et le bénévole n'étaient que des gueux que le possédant tolérait, ils deviennent la valeur refuge, ceux dont l'indispensable action au sein de la société ressurgit comme une évidence. Chacun prend conscience de son niveau d'essentialité, entrainant déception ou enchantement. Nourrir, soigner, protéger ont pourtant toujours été le ciment de la vie commune, les fameux besoins vitaux et nécessaires dépeint avant notre ère par Epicure. Aujourd'hui, face aux événements, chacun ou presque le sait, en a pris conscience.

Cette révélation vient alors bousculer les repères et les croyances économiques. Acheter de tout, tous les jours n'est pas vital à l'humain, mais indispensable au système économique géré à flux tendus pour produire rentable, pour produire plus, toujours plus, quitte à piller les ressources de mère nature, quitte à les gaspiller sans vergogne au nom de la croissance.

Le revenu universel apparait alors comme un miracle pour certains et un pas de plus vers l'esclavagisme moderne pour d'autres. Aucun n'a tort, tous ont raison. Le revenu universel peut tout être. S'il est réduit à une allocation comme une autre venant abonder les comptes bancaires de chacun dans le seul but de lutter contre la pauvreté, alors il sera source de spéculation, de thésaurisation, il deviendra sujet à crédit, à évasion fiscale et certainement à inflation. Rapidement insuffisant à satisfaire les besoins de chacun et il devra être réévalué régulièrement pour finalement ne rien résoudre. A l'opposé de sa capacité à mieux répartir, il se réduira à satisfaire la soif de posséder des uns, mieux placés, au dépend des autres, soumis à leur joug. Son financement anéantira la force économique de l'état que les « marchés » remplaceront totalement alors. En guise de lutte contre la précarité, il sera source de pauvreté extrême pour nombreux et de fortune colossale pour quelques élus.

Le revenu universel fait peur

Faut-il en rester là par peur de l'avenir, oubliant que ce dernier souri aux audacieux, faut-il laisser la crainte pétrifier les élans évolutionnaires ? Certainement pas. Elle doit au contraire nous forcer à plus de réflexion, à pousser plus loin nos pions vers un monde meilleur. Après tout n'est ce pas la course dans laquelle nous nous sommes engagés depuis la nuit des temps.

Pour répondre oui à la question il faut certainement aller plus loin et se poser les bonnes interrogations. Comment faire du revenu universel un outil écologique, humaniste, libérateur et émancipateur ? Comment le protéger pour le soustraire à l'évasion fiscale et à l'inflation, à l'enrichissement des plus riches et à la spéculation ? Quel doit être le circuit des flux de monnaie qu'il va engendrer et comment les maitriser pour atteindre ces objectifs ?

En premier lieu, ne faut-il pas s'interroger sur le moyen de distribution. Une mise à disposition via le système bancaire réduira à néant les effets sociaux d'un revenu universel. Mais un moyen de paiement tout aussi universel, géré indépendamment des banques commerciales peut remplir ce rôle. De son particularisme dépend sa vitalité et son immunité au virus spéculateur qui le guettent. Hors du système bancaire, son usage pourra maintenant être mieux orienté vers des entreprises aux pratiques vertueuses. La résonance du revenu universel sur l'ensemble de notre société deviendra alors positive et l'usage raisonné de cette valeur monnaie attribuée à tous orienté vers des entreprises productrices, de services ou commerçantes choisies pour leurs vertus. Ecologie, impact social, fiscalité, solidarité... seront alors les maîtres mots d'un nouveau modèle économique.

Pour s'écarter d'une accumulation par l'épargne de ceux qui n'en ont pas besoins, le revenu  universel ne peut être cumulable d'un mois sur l'autre. Un plafond de disponibilité sera indispensable, ne permettant à aucun de thésauriser sur son compte revenu universel un montant supérieur à l'attribution mensuelle.

Dés lors, ce revenu universel, perpétuel et éphémère, sera une solution évolutionnaire pour avancer vers une société nouvelle. Pour cela il faut cesser de se concentrer sur son attribution, sur qui le recevra, de combien sera son montant. Oublier aussi ce que nous savons de cette économie, oublier la religion de la croissance, oublier la loi du plus fort, du plus riche. Une fois chose faite, il faudra se préoccuper de la gestion des flux engendrés par la mise à disposition du revenu universel, s'assurer de l'imperméabilité du circuit, et de l'absence de capitalisation.

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(*) Par Didier Curel, Auteur.
Bibliographie : "Le revenu universel perpétuel et éphémère". Editions JDH. Octobre 2020 ; "L'Europe est à nous. Comment l'Europe et le revenu universel pourraient changer nos vies !". Editions du Net. Décembre 2017 ; "Opinion publique". Roman Editions France Europe. Novembre 2001. A paraître : "Dykhotomia . Roman. Editions La Trace Novembre 2021.