Machiavel et les réseaux sociaux ou l'opposition entre Trump et Fillon

Par Charles-Antoine Schwerer  |   |  971  mots
La "post-vérité" n'est que l'actualisation à l'heure du numérique d'un principe de Machiavel, selon lequel le Prince peut tout dire, dans la mesure où il cherche l'approbation du peuple. Trump en fait usage de façon immodérée, mais pas François Fillon, qui n'a rien répondu dans l'affaire du "Penelopegate". Par Charles-Antoine Schwerer, économiste, Asteres.

En 1629, Richelieu nomme des responsables publics de la censure chargés de contrôler les propos tenus dans les livres. Né plus d'un siècle avant, le livre imprimé permet à tous d'écrire ce qu'ils pensent, que cela soutienne ou non la ligne royale. En février 2017, Facebook annonce s'associer avec huit médias français pour expérimenter un système de vérification des informations publiées sur le réseau social. Nés il y a une dizaine d'années, les réseaux sociaux permettent à tous d'écrire ce qu'ils pensent, que cela soit vrai ou faux. Ironie de l'histoire, l'instauration de ce récent dispositif de fact checkers par Facebook n'est pas issue de la volonté du pouvoir de contrôler les propos de la société civile, telle la censure de Richelieu, mais plutôt de la volonté de la société civile de contrôler les propos du pouvoir, alias les tweets de Donald Trump.

Biais cognitif...

Le fonctionnement de l'information sur Internet et notamment sur les réseaux sociaux renforce le biais cognitif dit « de confirmation ». L'internaute arrive en effet la plupart du temps avec une idée en tête sur la Toile. Il lance sa requête et une foule d'informations apparaît. Nombre de travaux ont alors montré que l'internaute ignorait allègrement les propos en contradiction avec son intuition (ou plutôt avec son préjugé) jusqu'à trouver une information adéquate à sa pensée. L'information en question confirme alors son avis initial. Puisque la véracité des propos tenus n'est à ce jour pas contrôlée sur les réseaux sociaux, il devient possible de tout y trouver et donc d'y confirmer à peu près tous les préjugés existants. Appliquant l'adage machiavélien que le Prince doit chercher à être crû par le peuple, peu importe qu'il fasse ou non ce qu'il a laissé croire, le politique peut alors se saisir des biais du numérique pour prospérer. Un vieux principe de gouvernement du XVIème siècle réactualisé à l'heure numérique donne ainsi un néologisme : la post-vérité.

 ...et de confirmation

Pour faire croire, il convient donc de confirmer des sentiments diffus dans la population via des messages à l'emporte pièce, des photos détournées et autres citations sorties de leur contexte. Pour avoir fait écarteler Rémi d'Orque en public afin de laisser penser qu'il ne soutenait pas sa politique, Machiavel érige César Borgia en stratège. L'image frappante permet alors à beaucoup de se forger un avis. Si la tentative de manipulation ne dupe pas tout le monde, elle confirme du moins l'opinion de ceux qui en préjugeaient. Avec le numérique, ce stratagème devient plus aisé et l'usage du biais de confirmation peut même confiner au ridicule quand l'avocat du Président Trump poste une photo de la couverture de son passeport pour « prouver » qu'il n'a jamais été à Prague et éluder une affaire de vidéos compromettantes. Photo qui ne démontre évidemment rien.

Fillon, une communication d'un autre siècle

En comparaison avec l'effrénée communication numérique et verticale du Président américain, la stratégie de défense de François Fillon, accusé dans l'emploi présumé fictif de sa femme, semble s'inscrire dans un autre siècle. En réponse à la révélation de l'affaire par le Canard Enchaîné, François Fillon a déclaré avoir transmis aux juges les preuves du travail de sa femme sans en faire fuiter aucune sur les réseaux sociaux ou dans un quelconque média. En bon Machiavel et à la Trump, le candidat aurait pu user des réseaux sociaux pour offrir en pâture une photo de sa femme à un bureau, une vidéo de Pénélope en train de serrer une main, une revue de presse rédigée par ses soins. Afin simplement que les internautes électeurs qui ont l'intuition de son innocence puissent se mettre sous la dent quelques éléments et jouer ainsi du « biais de confirmation ». En lieu et place, le candidat a préféré dans un premier temps s'en remettre à une décision de justice et a tenté de déplacer le débat vers son programme, laissant la rumeur bruisser et les avis se forger. Le choix du parquet financier de continuer l'enquête semble progressivement faire glisser François Fillon vers une stratégie plus critique envers les institutions.

Rejet commun des média traditionnels

Avec des degrés et styles bien différents, les stratégies du candidat Fillon et du Président Trump convergent doucement. François Fillon joue, comme Donald Trump, le rejet des médias traditionnels. Il les accuse de lui dresser un tribunal médiatique quand le Président américain les insulte directement sur Twitter. François Fillon commence à dénoncer, comme Donald Trump, la légitimité de certains juges. Il met en doute la compétence du parquet financier dans l'affaire et annonce se présenter à l'élection même mis en examen. Le Président américain, lui, qualifie de « ridicule l'opinion d'un soit disant juge » de la cour d'appel bloquant le décret anti-immigration qu'un « lycéen de niveau médiocre comprendrait ».

Outre le rapport aux médias et à certains juges, les prochaines semaines nous diront surtout si François Fillon se résout ou non à un usage machiavélio-trumpiste des réseaux sociaux pour inonder les esprits de « preuves » du travail de sa femme. A défaut, les journalistes devraient se charger d'enquêter en profondeur sur le travail ou l'absence de travail de Pénélope. Les médias tant critiqués retrouveraient un peu de couleur à offrir une solide enquête aux électeurs en quête de vérité.