Municipales : quand le peuple confirme sa sécession

Par Jean-Christophe Gallien  |   |  746  mots
Jean-Christophe Gallien. (Crédits : Reuters)
OPINION. Trois France cohabitent. Une France des métropoles, une France des territoires et une troisième, la seule victorieuse, celle de la sécession démocratique. Celle de l'abstention, celle qui vote blanc ou nul et celle aussi qui ne s'inscrit même plus sur les listes électorales. Par Jean-Christophe Gallien (*), professeur associé à l'Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne, président de j c g a.

Quelle terrible fessée pour notre classe politique et quelle défaite pour la France démocratique que ce scrutin des municipales. Une élection sacrifiée, maintenue dans un contexte sanitaire, économique et démocratique chaotique et écartelée entre 2 tours précédés d'une campagne anorexique. Il s'agit d'un échec qui ne peut pourtant pas être imputé seulement au coronavirus. Car l'abstention de 2020 puise son énergie dans la progression continue de la sécession du peuple.

Les 3 France

Trois France cohabitent. Une France des métropoles, une France des territoires et une troisième, la seule victorieuse, celle de la sécession démocratique. Celle de l'abstention, celle qui vote blanc ou nul et celle aussi qui ne s'inscrit même plus sur les listes électorales. Une troisième France qui tourne le dos à l'offre politique même si elle émet, depuis les rues physiques et surtout digitales, une vraie demande de politique. Cette France du refus largement majoritaire grossit encore. Elle renvoie les différents mouvements et partis à une légitimité qui s'affaiblit.

D'élections en élections, le peuple français confirme sa sécession

Après les « gilets jaunes », après les grèves contre la réforme des retraites, loin des 150 citoyens tirés au sort de la Convention citoyenne pour le climat, des pans entiers de notre société quittent l'espace de la représentation. Malgré l'épisode de la « révolution » Macron, la profonde crise démocratique s'est enracinée. Une fronde civile et citoyenne se propage dans la durée.

La défaite est dans tous les camps

Même la « vague » écologiste qui gagne cette élection au cœur de la France des métropoles et des grandes cités, même Les Républicains et les socialistes qui conservent le leadership dans la France territoriale, même le Rassemblement National qui a refusé l'obstacle en limitant ses espaces de confrontation... tous doivent s'interroger sur l'échec général de la participation. Et que dire de La République en Marche présidentielle qui, anémique, prend une gifle violente même pour un parti au pouvoir.

Il ne faut pas se cacher derrière l'anesthésie électorale du Covid-19. Et l'on ne peut opposer aux citoyens une accusation en inconséquence ou en incompétence politique. C'est l'offre proposée qui n'imprime plus. Évanescente, la campagne a dépassé tous les records de mollesse et d'effacement. Vous n'allez pas voir un film si le casting, l'histoire et son sujet ne vous plaisent pas, et si au surplus, aucune promotion ne tente de vous convaincre d'aller au cinéma. C'est pareil en politique.

L'un des visages d'une migration citoyenne

Pire, l'abstention politique et électorale n'est qu'un des visages d'une impressionnante migration citoyenne. Un divorce de plus en plus profond s'est installé entre la République des citoyens et celle des élites quelles qu'elles soient. La crise de confiance est totale. La rupture se rapproche encore.

L'attaque sanitaire qui tarde à s'éteindre et menace de revenir, l'aggravation annoncée des épreuves économiques et sociales, la permanence des tensions identitaires... les demandes répétées à l'usure qui ne reçoivent pas de réponses suffisantes jusque dans le réel fabriquent une expérience individuelle et collective désormais généralisée d'une incertitude de tout. Et surtout chez les Français, un sentiment qui s'affirme de plus en plus : les politiques, les gouvernants sont comme eux-mêmes perdus, sans repères, sans vision, pire, sans pouvoir face aux fruits amers de la mondialisation.

« Les ilotes et les élites »

Jean Baudrillard l'écrivait en 1995, dans un texte prophétique : « Les ilotes et les élites ».

« Nous vivons dans une réalité politique parfaitement dissociée. D'un côté, la classe politique, micro-société parallèle secrètement en chômage technique [...] vouée semble-t-il à l'unique tâche de se reproduire, dans une confusion endogamique de toutes les tendances [...]. De l'autre, une société « réelle » de plus en plus déconnectée de la sphère politique. Toutes deux, s'éloignant l'une de l'autre à une vitesse grand V, semblent plus ou moins destinées à dépérir ou à se désagréger chacune dans leur coin ».

Le temps est vraiment, comme le dit Emmanuel Macron, à l'invention politique. Mais pas seulement de lui-même.

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(*) Par Jean-Christophe Gallien
Politologue et communicant
Président de j c g a
Enseignant à l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals