Ports francs britanniques : le retour du cauchemar de Bruxelles

Par Thierry Martin (*)  |   |  1187  mots
(Crédits : Reuters)
OPINION. Depuis le Brexit des villes britanniques tentent de devenir des zones franches, c'est le retour du cauchemar de Bruxelles et de tous les constructivistes européens d'un Singapour-sur-Tamise. Mais c'est surtout un démenti de toute la presse française qui voyait Boris Johnson tourner le dos à Thatcher à la faveur de la pandémie. (*) Par Thierry Martin, Directeur du développement chez‎ Adevex.

Le gouvernement du Royaume-Uni cherche à mettre le turbo de l'économie post-Brexit sur les régions par la création de dix ports francs, une opportunité potentiellement si lucrative pour les régions concernées que, d'après le Financial Time, plus de 30 aéroports et ports maritimes à travers le Royaume-Uni soumissionnent pour devenir des ports francs (freeports), autrement dit des zones de libre-échange, dans un bouleversement commercial post-Brexit qui pourrait voir dix créations de régions libres (tax and regulation-lite).

Nécessité du libéralisme pour Boris Johnson

Un flagrant démenti au wishfull thinking de toute la presse française qui comme toujours prend ses désirs pour la réalité et qui voyait Boris Johnson tourner le dos à Margaret Thatcher qui en 1983 brandissait La constitution de la liberté (The Constitution of Liberty) de Friedrich Hayek en disant : "This is what we believe."

Rappelons-nous Le Monde du 24 octobre 2020 « Comment Boris Johnson enterre le thatchérisme au Royaume-Uni » ; Les Echos du 21 novembre 2020, « Boris Johnson, l'antithèse absolue de Margaret Thatcher » ; Le Figaro du 13 décembre 2020 en anglais dans le titre : « Welcome Boris Johnson... and goodbye Margaret Thatcher ». Or Boris Johnson c'est l'alliance de la souveraineté nationale au service d'une politique conservatrice libérale ayant pour objectif la prospérité du pays. Cette nécessité du libéralisme, celui de l'école autrichienne, fait malheureusement défaut aux souverainistes français de droite comme de gauche, et à Eric Zemmour en particulier.

Plusieurs zones ont révélé leur espoir de devenir l'une de ces dix zones, y compris la ville de Sheffield, un regroupement de quais près de Bristol, ou un regroupement de quais et de zones industrielles dans l'estuaire de la Tamise et à l'est de Londres. On s'attend à ce que le gouvernement dévoile ses choix en ce mois de mars. Le rapport du Financial Times souligne que le niveau d'attention accordé au projet sera considéré comme une bonne nouvelle pour le premier ministre britannique Boris Johnson, qui a défendu les ports francs et qui a promis de « remettre à niveau » (level up) les régions déprimées lors des élections générales de 2019.

En vertu du plan, les nouveaux ports francs seraient exempts des habituelles taxes et de droits de douane, ainsi que d'autres règlements, aux fins d'importation et d'exportation, transformant essentiellement des zones entières d'une largeur pouvant atteindre 45 kilomètres en entrepôts de stockage massifs. En plus de faciliter l'importation, l'exportation et l'expédition des marchandises, les zones stimuleraient également les usines à l'intérieur de ces mêmes zones. Dans un cas, une usine entière de moteurs de voiture se trouve à l'intérieur de la zone de « Freeport » proposé.

Stimuler le commerce, la fabrication et le nord du pays

Même les charges sociales et la planification de la construction de nouvelles usines et de nouveaux entrepôts pourraient être assouplies dans ces zones, en fonction de la façon dont le plan finira par émerger.

En fait ce plan ne date pas d'aujourd'hui, il avait été proposé dans un document publié en 2016 par Rishi Sunak, aujourd'hui chancelier de l'Échiquier, qui décrivait comment l'intensification des activités encouragées par des zones sans taxes pourrait « stimuler le commerce, la fabrication et le nord du pays » dans la Grande-Bretagne post-Brexit. Les partisans des ports francs y voient une perspective d'augmentation de l'emploi et de la prospérité. En effet, le rapport de Sunak affirmait que si les ports francs britanniques réussissaient aussi bien que les zones équivalentes des États-Unis, ils pourraient créer 86.000 emplois.

Nous sommes dans le droit fil du discours du 2 février 2020 au Greenwich Royal Naval College, où Boris Johnson appelait à lever les yeux au ciel, en lançant :

« Le Vatican a Michel-Ange, Greenwich a Thornhill, qui nous a laissé cette scène symbolique et un peu folle qui saisit l'esprit du Royaume-Uni au début du XVIIIe siècle. »

Ces temps d'optimisme et d'expansion commerciale mondiale symbolisés autour de nous par ces ancres, gouvernails ou sextants, nous invitent à « repartir à zéro, et retrouver l'esprit de ces ancêtres marins, dont les exploits ont apporté non seulement des richesses, mais une perspective globale ».

C'est sous l'égide des souverains William et Mary, qui trônent au centre de la fresque, que parle le Premier ministre. Le couple régnant à partir de 1689 symbolise l'explosion du commerce mondialisé, propulsé par une nouvelle technologie navale, sans oublier la main invisible d'Adam Smith et le principe d'avantage comparatif de David Ricardo, qui enseigne que si les pays apprennent à se spécialiser et à échanger, la richesse globale et la productivité augmenteront, concluant avec Cobden que « le libre-échange est la diplomatie de Dieu - la seule façon sûre d'unir les gens dans la paix ; plus les marchandises traversent librement les frontières, moins les armées les franchissent. »

« Je ne vois aucun besoin de nous contraindre à un accord avec l'Union européenne, précise-t-il alors, bravache, vis-à-vis de l'UE. Nous allons restaurer notre pleine souveraineté sur nos frontières, l'immigration, la concurrence, les règles encadrant les subventions, les approvisionnements, la protection des données. »

Une attaque « thatchérienne »

Néanmoins, les constructivistes de tous poils s'opposent aux ports francs. Le Parti travailliste a critiqué le projet en le qualifiant d'attaque « thatchérienne » (Thatcherite) contre la perception et la réglementation fiscales dans un cas et, dans un autre, d'une « course vers le bas » qui profiterait aux « blanchisseurs d'argent et aux fraudeurs fiscaux ». C'est un sentiment partagé par le gouvernement régional gallois, qui n'a même pas permis aux villes galloises de soumissionner pour devenir des ports francs, invoquant ses préoccupations au sujet des recettes fiscales perdues.

Certains médias grand public ont également fait des manchettes montrant clairement leur opposition au plan. Le Guardian (ligne éditoriale travailliste) s'est demandé s'il s'agissait en fait de « ports francs » (freeports) ou s'il pourrait être plus précisément qualifié de « ports sordides », (sleaze ports) accusant le Royaume-Uni de créer de « mini paradis fiscaux » (mini tax havens). 
 
Un article de la BBC (ligne éditoriale travailliste bien que service public) étonnamment partisan mettait en avant un expert qui prétendait que les freeports ne créaient pas du tout d'emplois et ne faisaient que les déplacer.

Cependant, le gouvernement de Boris Johnson est plus optimiste. L'énoncé de 2019 accompagnant l'annonce du projet politique affirmait ce qui suit :

« Les ports francs [feront] en sorte que les villes portuaires et les aéroports britanniques soient prêts à tirer pleinement parti des occasions qui se présenteront après le Brexit, y compris l'augmentation des échanges commerciaux avec les États-Unis et la croissance rapide des marchés asiatiques alors que nous signons nos premiers accords de libre-échange avec des partenaires mondiaux. »

Plus loin il ajoutait :

« Il existe déjà des milliers de zones de libre-échange très prospères dans le monde, les États-Unis ayant été les premiers à créer plus de 250 zones de libre-échange, employant 420 000 personnes, dont beaucoup occupent des emplois hautement spécialisés dans le secteur manufacturier. »