Pourquoi l'Allemagne ne paiera pas... malgré la supplique de Dominique Strauss Kahn

Par Romain Perez  |   |  1064  mots
Romain Perez
L'Allemagne devra payer pour les pays du sud de la zone euro, assurent certains. Or elle ne le fera pas, d'abord parce qu'elle l'a déjà suffisamment fait jusqu'à maintenant, ensuite parce qu'il est de la responsabilité de ces pays, lourdement endettés, de mener des réformes pour retrouver la croissance économique. Par Romain Perez, enseignant à Sciences Po.

À lire Dominique Strauss Kahn, l'Allemagne aurait bien changé. Celle d'avant la crise était éprise d'européanisme et de construction communautaire, portée par la culture solidaire et citoyenne d'Erasme et d'Habermas. Celle d'aujourd'hui vivrait repliée sur ses intérêts, perdue dans d'obscurs calculs d'apothicaire. Prisonnière d'un "récit trompeur et incohérent sur le fonctionnement de l'union monétaire", elle chercherait à imposer une certaine "vision ordo-libérale de la politique économique". Et pour DSK, ce revirement est manifestement au cœur du malheur européen. L'ancien directeur du FMI ne le dit pas clairement, mais entre les lignes, c'est bien la responsabilité allemande qu'il pointe du doigt dans la banqueroute grecque.

Nous défier de nos illusions sur la responsabilité allemande

Cette mise en accusation de nos riches cousins, si commune au sud de l'Europe, interpelle cependant. On est habitué à croire que l'Allemagne "paiera", étant par son histoire endettée à l'égard de l'Europe, mais cette croyance a trop servi de prétexte pour justifier de notre inconséquence collective. Il convient de nous défier de nos illusions sur la responsabilité allemande.

D'abord, parce que l'Allemagne n'est pas coupable, cette fois. Elle n'a aucune obligation morale ou légale de prendre à son compte les dettes de la Grèce. Elle a déjà largement contribué au soutien de l'économie grecque depuis son accession à l'Union européenne, y compris après les débuts de la crise financière de 2010. Et ne saurait donc accepter un discours qui la rendrait responsable de fautes qu'elle n'a pas commises. Les difficultés budgétaires de la Grèce sont la conséquence directe de l'unification monétaire et de l'incapacité d'Athènes, partagée par nombre de pays du sud de la zone euro, à mener les réformes structurelles nécessaires à la convergence macroéconomique.

Les gouvernements du sud ont compromis l'avenir de la zone euro

L'Allemagne a su au contraire anticiper les effets de l'union monétaire, et donner l'exemple au reste de l'Europe en menant des réformes courageuses pour maintenir ses équilibres économiques et financiers. On peut certes fustiger l'obsession budgétaire de Berlin - la convergence macroéconomique nécessitant une compréhension plus large de la gouvernance économique sociale - mais on ne saurait rendre l'Allemagne responsable de la crise actuelle.

Ce sont bien les gouvernements du sud de l'Europe qui ont compromis l'avenir de la zone euro, privilégiant la voie de l'attentisme et de l'endettement à celle des réformes structurelles. Malgré les avertissements de certains économistes et de hautes autorités telles que Jacques Delors, ces gouvernements ont imaginé pouvoir jouir indéfiniment de l'euro, et notamment du pouvoir d'achat qu'il conférait, sans en assumer les servitudes. Et nié le dilemme que posait depuis l'origine l'union monétaire, entre la préservation des modèles économiques et sociaux existants et cette nécessaire convergence macroéconomique.

Réveiller un sentiment d'injustice outre-Rhin

Obliger l'Allemagne aujourd'hui à assumer le renflouement grec - pour peu que cela soit possible -, c'est renverser l'ordre des responsabilités, et réveiller ainsi un sentiment d'injustice outre-Rhin, dangereux pour l'Europe. Selon différents sondages, 71% des Allemands sont favorables au Grexit si la Grèce ne respectait pas ses engagements budgétaires, et 64% estiment que leur pays ne devrait pas venir en aide à la Grèce. Alors que 51% jugent que leur économie se porterait mieux si elle n'était pas au sein de la zone euro.

De plus, l'Allemagne ne paiera pas pour la Grèce car celle-ci n'est pas un cas isolé en Europe. C'est en fait une lame de fond qui menace notre système financier. Outre le Portugal et l'Italie, dont le taux d'endettement dépasse les 130% du PIB, les pays à l'est de l'eurozone connaissent une envolée spectaculaire de leurs emprunts. La France elle-même ne semble pas parvenir à maitriser son endettement, malgré la faiblesse des taux d'intérêt. Ainsi, celui-ci a progressé de pratiquement un quart depuis 2010, et de plus de 10% ces trois dernières années, pour approcher le seuil des 100% du PIB en 2015.

Sans l'Allemagne, qui garderait confiance dans notre système financier?

Dès lors, l'effacement des dettes de la Grèce, qui équivaudrait à leur transfert au passif de l'Allemagne et des autres créanciers du pays, est une voie risquée pour l'avenir. Si l'Allemagne devait céder au chantage du sud de l'Europe, et porter à son débit les dettes de la Grèce, de l'Italie, du Portugal et bien d'autres encore, qui garderait confiance dans notre système financier? Sans la qualité de la signature allemande, sur quoi reposerait l'édifice monétaire européen?

Dans ce contexte, chacun est libre d'imaginer de vastes plans d'abandon de dettes publiques, et d'envisager, à la manière de François Hollande récemment, la constitution d'un véritable gouvernement de la zone euro assurant la péréquation des ressources nécessaire à la pérennisation de l'union monétaire. Mais il faut nous garder de nos chimères. L'Allemagne ne paiera pas. Et nous ne donnerons pas un avenir à la zone euro en institutionnalisant le principe de mendicité pour le compte des économies ne parvenant pas à tenir leurs engagements.

L'heure est venue d'accélérer la mise en place des réformes structurelles

C'est seulement par la responsabilité que l'Europe pourra sortir de l'impasse. Pour la Grèce, il semble que les jeux soient faits ou presque. Il faudrait un miracle pour que la nouvelle cure d'austérité imposée par l'Eurogroupe ne déstabilise davantage sa fragile économie. Mais pour les autres, qui ont encore du temps et quelques marges de manœuvre, l'heure est venue d'accélérer singulièrement la mise en place des réformes structurelles. De sortir du cadre étroit de la consolidation budgétaire, pour aller au fond des choses, en remettant à plat une gouvernance devenue obsolète. Rationalisation administrative et fiscale, activation des prestations sociales, baisse des charges sociales et des dépenses correspondantes, plan de relance de l'investissement industriel et du logement... les chantiers sont nombreux et difficiles. Mais nous le savons désormais, dans la difficulté, il ne faut compter que sur nous-mêmes. L'Allemagne ne paiera pas. Et c'est bien ainsi, car une nation doit assumer ses responsabilités pour demeurer indépendante.

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