Pourquoi le marketing d'influence investit la communication politique

Par Antoine Denry (*)  |   |  845  mots
(Crédits : DR)
OPINION. La campagne électorale qui s'annonce pour les présidentielles de 2022 utilisera les influenceurs comme nouvelle arme de "séduction massive". Par Antoine Denry, Directeur Stratégie chez H+K Strategies Paris, Professeur au CELSA et à l'Université Panthéon-Sorbonne.

Il y a quelques jours le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal lançait sur Twitch son programme d'expression directe sur le web, « Sans filtre », où il dialoguait avec 5 jeunes, dont un influenceur maquillage et une youtubeuse « lifestyle ».

Il y a quelques jours également Emmanuel Macron lançait un défi à deux YouTubers, McFly et Carlito, pour diffuser une vidéo valorisant les gestes barrières. Une stratégie numérique d'influence qu'ils ne sont pas les seuls à déployer : Jean Castex a appelé le vidéaste Gaspard G suite à sa mise en exergue de la détresse étudiante, et surtout des ministres comme Jean-Baptiste Djebbari ou Franck Riester se sont mis aux discussions vocales sur Clubhouse et en ont accepté les codes : pratique du tutoiement, appellation par son prénom, débats informels sans agenda prédéfini, etc.

Un moyen de dialoguer avec une jeunesse désabusée

Autant de pratiques en rupture avec la déférence marquée habituellement envers le personnel politique ou les membres du gouvernement. Bien sûr on en comprend les raisons : les réseaux sociaux sont la première source d'information des 18-34 ans (45%) versus 37% pour la télévision et 7% pour la radio ou la presse écrite (IFOP 2019) et les 3/4 des Français éprouvent soit du dégoût soit de la méfiance envers la politique (étude CEVIPOF Février 2021).

On constate ainsi une accélération de la communication sur tous les médias sociaux, de nouveaux canaux clairement investis par le gouvernement pour cibler la jeunesse française et ses questionnements. À un an de la présidentielle, l'exécutif cherche de nouveaux moyens efficaces pour dialoguer avec une jeunesse désabusée par l'action politique et de surcroît frappée de plein fouet par les conséquences de la crise sanitaire. Les opérations de communication politique sur ces réseaux prennent de l'ampleur par le côté inhabituel de la démarche certes, mais aussi par la reprise du sujet sur l'ensemble des médias traditionnels. Car si ce sujet fait tant parler c'est qu'il est largement commenté dans la presse écrite et audiovisuelle, ce qui lui permet de sortir de son cercle d'influence habituel et de générer du bruit médiatique.

Depuis le début de son quinquennat Emmanuel Macron a fait passer la communication politique dans une autre dimension, où le web devient aussi important que la grand-messe du 20h. On se souvient en 2019 de son interview avec le créateur de la chaîne YouTube HugoDécrypte, et plus récemment de celle donnée à Brut où il répondait aux questions posées sur Snapchat, l'application favorite des 16-25 ans. Alors oui, avoir recours à des influenceurs est bien la nouvelle marque de fabrique de ce quinquennat en termes de communication. Rien d'étonnant d'ailleurs puisque cela imite ce qui est déjà fait depuis plusieurs années par les marques dans leurs relations avec les consommateurs. En somme, cela ne fait que suivre l'évolution de la consommation des médias. Oui Emmanuel Macron veut atteindre de potentiels électeurs plus jeunes. Oui cela passe aujourd'hui par des influenceurs, alors qu'il y a encore quelques années les politiques privilégiaient la communication par la presse et les relais d'opinion que sont les journalistes accrédités.

La forme plutôt que le fond ?

On peut se féliciter du succès de cette démarche et par exemple du succès des vidéos d'Emmanuel Macron sur l'application TikTok, mais il faut aussi en relativiser la portée, car la communication y reste très institutionnelle. Le support est nouveau, mais le message porté reste peu ou prou le même. Pour s'adresser aux jeunes, il ne suffit pas de changer de canal et d'entrer en conversation avec eux, encore faut-il s'adapter à leurs enjeux et développer des messages qui y répondent.

Dans un environnement de communication où la parole des institutions publiques et politiques est en compétition directe avec d'autres stimulations, les membres de l'exécutif ou les représentants de la nation se donnent pour objectif de conquérir l'attention de nouveaux publics en s'appropriant leurs codes et en anticipant leurs attentes. À ce titre ils sont prêts à prendre quelques risques et à refuser le filtre. Certes, les influenceurs représentent de nouveaux filtres, mais on sent bien la tendance, de part et d'autre, à ne plus vouloir de filtre du tout. Et pourtant le filtre est précisément ce sur quoi repose notre édifice démocratique : le filtre « montant » de l'opinion via les élus (politiques, syndicaux ...) comme le filtre « descendant » de la parole politique via les journalistes et les analystes. Passer au « sans filtre », c'est passer à un système qui n'est plus tout à fait celui de la démocratie représentative, plus proche de la démocratie directe et où le niveau du débat politique est singulièrement abaissé. Il est possible que cela oxygène nos libertés, mais il est également possible que cela finisse par les étouffer.