Qui a peur de l'Intelligence Artificielle  ?

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  752  mots
Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs à l'Essec.
Les craintes liées à l'uberisation sont aussi vieilles que le développement et la transformation économiques. Les prévisions en la matière ne mènent pas bien loin: nul ne sait vraiment où se trouveront les nouveaux emplois, c'est le marché qui dictera sa loi. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs à l'Essec.

Lors du dernier meeting de l'American Association for the Advancement of Science tenu récemment à Washington, des scientifiques de renom se sont émus ouvertement du risque pour l'homme du développement de la robotique et des avancées en Intelligence Artificielle (IA). Dans un proche futur, les machines seront capables de faire quasiment toutes les tâches dévolues à l'homme, plus efficacement que lui. Les investissements massifs consentis par des firmes comme Facebook, Google ou Microsoft vers la voiture qui se conduit seule, pointent le risque pour l'homme d'être éliminé de l'activité économique par les machines. Ils citent le chiffre de 10% des emplois américains qui impliqueraient de conduire des automobiles et qui seraient en danger. Même les travailleurs du sexe seraient en danger, à terme, d'être supplantés par des Robots du sexe plus performants, animés par une intelligence artificielle.

La mise à l'écart de l'homme par la machine?

L'histoire de l'humanité a été en permanence caractérisée par des phases d'inquiétudes et de rejets du progrès technique, vu comme destructeur d'emplois. La révolte des canuts lyonnais détruisant les métiers à tisser, voleurs d'emplois de tisserands, est un exemple emblématique. Pourtant, force est de constater qu'en 2016, malgré un progrès technique continu, cette fameuse mise à l'écart de l'homme par la machine ne s'est toujours pas matérialisée. Bien au contraire, les économies des pays développés continuent à créer des emplois à un rythme soutenu.

Une vision planiste et malthusienne

Cette approche pessimiste vient en général d'une vision planiste et malthusienne de l'économie et relève donc d'une profonde méconnaissance du fonctionnement de l'économie de marché. Le problème n'est pas de contester le chiffre de 10% d'emplois détruits par la voiture autonome, il est peut-être vrai. Le développement du moteur à explosion a bien éliminé à terme 100% des emplois liés à la traction animale comme les emplois de cocher, maréchal-ferrant, éleveur de chevaux de traits, palefrenier, garçon d'écurie et a éliminé les entreprises de transport hippomobile et les entreprises de fourrage.

Le marché va révéler les usages pertinents du travail

A cette époque, les homologues de notre scientifique de renom, tout en concevant leurs moteurs se lamentaient sur l'extinction de ces métiers et le danger pour l'homme d'être mis irrémédiablement au chômage. Ils avaient raison et tort à la fois. 100% des emplois liés à l'activité ont bien disparu et l'activité humaine et l'emploi ont continué à se développer dans un sens que ces scientifiques, comme les scientifiques actuels, sont incapables de prédire.

En effet, c'est le marché qui va révéler les usages pertinents du travail dont les usages potentiellement rentables se modifient en fonction des évolutions technologiques, et personne d'autre. Aucun planificateur de ministère n'est capable d'entrevoir l'avenir de l'économie. Celui-ci se révèle progressivement si les marchés fonctionnent librement en trouvant systématiquement le meilleur usage pour les ressources en travail de l'économie. En effet, le marché concentre, transporte, révèle et distribue les millions d'idées, d'innovations, d'un nombre infini d'entrepreneurs, placés sur toute la surface de la planète, au contact d'une infinité d'opportunités que chacun voit dans son coin et chacun bénéficiant, toujours par l'intermédiaire du marché, des idées et avancées des autres, comme l'a parfaitement conçu le prix Nobel d'économie Friedrich Von Hayek.

Uberisation ou adaptation au progrès technologique?

Après coup, les spécialistes des sciences de gestion pourront expliciter la nature géniale de l'évolution qu'ils n'ont pas vu venir ni su prédire car personne ne le peut. Tous les commentateurs de ce qu'il est convenu d'appeler l'uberisation de l'économie, qu'ils l'abordent sous l'angle de la stratégie, la sociologie, le marketing passent le plus souvent à côté de la dynamique institutionnelle de ce phénomène qui est simplement l'adaptation du marché à un progrès technologique en termes de miniaturisation des composants électroniques et de développement de la 4G qui rendent facile et pratique l'utilisation de smartphone.

Un grand nombre de métiers vont être mis en cause, un grand nombre de métiers nouveaux vont apparaître. Les Cassandre voient, de bonne foi, le verre à moitié vide et prédisent la fin d'un monde ... qui survivra et se développera, comme d'habitude depuis 300 ans, tant que l'économie de marché organisera les échanges.