RSI : un désastre bien français

Par François Charpentier  |   |  1460  mots
François Charpentier, journaliste spécialiste de la protection sociale.
Le régime social des indépendants a beau être dans une situation proche de la catastrophe, il ne sera réformé qu'à la marge. L'aboutissement d'une histoire bien française, où l'on voit des responsables politiques (Renaud Dutreil) voulant se faire un nom en menant des réformes à la hussarde. Par François Charpentier, journaliste spécialiste de la protection sociale.

Les dysfonctionnements du RSI (régime social des indépendants) font partie de ces histoires récurrentes qui égaient les fins de banquet dans le petit monde de la protection sociale. Un épisode en tout cas parfaitement emblématique de notre incapacité collective à corriger des erreurs quand il se confirme qu'elles ont bien été commises. Pour comprendre les enjeux de cette affaire, il faut remonter au début des années 2000.
Une opération pour limiter les fraudes...
À cette époque, Robert Buguet, un « couv-plombe » comme on dit dans le métier du bâtiment, est président de la Capeb et vice-président de l'UPA. Cette organisation de petits patrons classés à droite entend se démarquer - déjà ! - du baron Seillière quand, en 2001, ordre est donné à tous les patrons du Medef de quitter toutes les instances de la Sécurité sociale. « Plus social que toi tu meurs », Robert Buguet réussit là où tous ses prédécesseurs ont échoué : non seulement les petits patrons continuent de siéger à la Sécu, et s'emparent de la branche du recouvrement, ô combien stratégique pour les entreprises, mais il convainc dans la foulée les adhérents de la Cancava (caisse de retraite des artisans), d'Organic (régime de retraite des industriels et commerçants) et de la Canam (caisse nationale maladie des indépendants) de se regrouper dans un régime unique.

Ironie de l'histoire, Robert Buguet obtiendra un vote favorable à ce projet en persuadant les intéressés qu'il est de leur intérêt bien compris de laisser les Urssaf, connues pour être très "efficaces" dans leur mission, voire accusées par ces mêmes petits patrons de « racketter les entreprises », de recouvrer leurs cotisations. N'est-ce pas la garantie que la fraude sera réduite au minimum et que les déficits seront mutualisés ?...

La première réforme structurelle d'envergure

Depuis la création de la sécu en octobre 1945, c'est la première réforme structurelle d'envergure. Au surplus, tout le monde convient qu'elle a un sens, non seulement parce que ces régimes sont lourdement déficitaires avec un rapport démographique de deux cotisants pour un retraité. On retiendra parmi les raisons de ce déficit, le fait qu'on cotise rarement toute sa vie dans ces régimes. Exemple : avant d'être artisan, on est souvent pendant de longues années apprenti, puis salarié. Résultat, selon le Conseil d'orientation des retraites, on ne cotise en moyenne que 12 années dans le régime des commerçants et pas plus de 14 ans dans celui des artisans. À la clé les pensions sont modestes et les gens partent très tard en retraite. Avec un régime unique, c'est le calcul de Robert Buguet, on pourra donc réaliser des économies d'échelle et mutualiser les pertes...

La responsabilité de Renaud Dutreil

Si l'on en était resté là, la fusion se serait peut-être faite sans trop de dommages. Mais c'est là qu'intervient un secrétaire d'État ambitieux, dont la femme, Christine, dirige le cabinet du baron Seillière, autrement dit Renaud Dutreil, en charge dans le gouvernement Raffarin des PME, du commerce, de l'artisanat, des professions libérales et de la consommation. En quête de notoriété et de visibilité dans une perspective électorale, le ministre reprend une idée a priori séduisante, à savoir la mise en place d'un « guichet unique ». Artisans, commerçants, professions libérales se voient promettre la mise à disposition d'un « ISU », entendez un « interlocuteur social unique ». Le calendrier politique n'ayant rien à voir avec le calendrier social, le secrétaire d'État exigera des services de l'Acoss (l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale qui chapeaute toutes les Urssaf) qu'ils pressent le pas. Résultat, les observateurs convenaient à l'époque que le dossier n'était pas mûr quand la réforme a été lancée et que deux ordonnances ont été publiées au JO de décembre 2005 créant pour l'une le RSI et pour l'autre prévoyant le transfert des opérations de recouvrement de chacun des trois régimes vers les Urssaf.

Les Urssaf ne savent pas faire

Très vite on s'apercevra que les Urssaf ne savent pas faire. Autant il est facile de prélever à la source une cotisation sur un salaire et de faire figurer cette opération sur la feuille de paie délivrée par l'employeur, autant il faut procéder avec plus de doigté et de souplesse quand on s'adresse à une TPE en voie de constitution. Passons sur les détails. Alors que les dirigeants du régime ne cesseront d'aller répétant que la situation s'améliore, les chiffres diront le contraire. D'où la valse des directeurs généraux, Dominique Ligier étant remplacé en 2012 par Stéphane Seiller, des bataillons de polytechniciens étant dépêchés à grands frais auprès des agents pour les aider à remettre un peu d'ordre dans leurs fichiers.

Un environnement détestable

La tâche est titanesque. D'abord parce que le RSI ce sont tout de même 2,7 millions de cotisants, 2 millions de retraités et 3,7 millions de bénéficiaires de prestations maladie pour lesquelles sont prélevées près de 9 milliards. Ensuite, parce que le désordre observé aujourd'hui résulte aussi des actions menées dans les années 70-80 par des mouvements poujadistes comme le CID-Unati qui appelaient leurs adhérents à ne plus payer leurs cotisations ou, pire encore, comme dans le département de l'Hérault, qui incendiaient les caisses et détruisaient les dossiers.

L'informatisation n'étant pas en place, certaines reconstitutions de carrière se sont révélées impossibles. Enfin, il ne faut pas mésestimer le fait que si certains sont légitimement en colère contre leur caisse, d'autres n'ont jamais accepté depuis la création de la sécurité sociale en 1945 son caractère obligatoire, donc dérogatoire à la libre concurrence. Ceux-là interviennent en permanence auprès de Bruxelles, de la Cour de justice de l'Union européenne, voire de la Cour des droits de l'Homme pour échapper aux cotisations qu'on leur impose.

Dès 2012, la Cour des comptes parle de "catastrophe industrielle"

La Cour des comptes dès son rapport annuel sur la sécurité sociale de 2012 (chapitre 8) avait évoqué sans détour « la catastrophe industrielle » résultant de la mise en place du RSI et se montrait particulièrement pessimiste en parlant d'une « situation profondément compromise ». Deux ans plus tard, la situation ayant encore empiré, elle avait chiffré à quelque 11 milliards d'euros les retards cumulés de cotisations. Aujourd'hui, deux députés PS, Sylviane Bulteau et Fabrice Verdier ont remis un rapport au Premier ministre, tandis que Gérard Larcher a demandé à la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat un énième rapport sur le sujet.


Le RSI ne peut compter que sur lui-même

Mais « pas de grand soir en vue », a indiqué Fabrice Verdier à l'issue d'un entretien avec Manuel Valls qui songe à introduire des mesures correctrices dans le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) en septembre. Un attentisme que les dirigeants du RSI, notamment son président, Gérard Quévillon, dans un communiqué d'une parfaite langue de bois ont immédiatement interprété comme une marque de « confiance » dans leur action et l'assurance qu'ils pourront « poursuivre de manière résolue les améliorations nécessaires à la qualité de fonctionnement des services »...

Pas de réforme ambitieuse en vue

On croit rêver, mais il est vrai qu'au fil des ans le dossier est devenu inextricable et que la perspective d'une élection présidentielle ne prédispose pas aux réformes ambitieuses. Alors qu'à l'origine on imaginait intégrer ultérieurement la MSA dans le RSI, on voit mal aujourd'hui les salariés de l'agriculture, de Groupama ou du Crédit agricoles accepter de mutualiser les pertes d'un régime extérieur au leur. Même chose pour l'assurance vieillesse sur laquelle les trois régimes étaient alignés depuis 1973 et jusqu'en 2005. A priori, le RSI ne peut donc compter que sur lui-même pour s'en sortir. Ce qui sera long si l'on s'en remet à des « médiateurs de proximité » pour traiter au cas par cas les dossiers les plus difficiles. Et coûteux socialement et politiquement si l'on doit s'en remettre à une hausse des cotisations. Certes les Républicains sont mal placés pour faire de la surenchère sur un désastre qu'ils ont eux-mêmes créé. Mais le Front national aura d'autant moins ces scrupules qu'il sait ces petits patrons du RSI sociologiquement et culturellement proches de lui...