Russie : le désastre en direct

Par Michel Santi  |   |  792  mots
(Crédits : SPUTNIK)
CHRONIQUE. Voilà un bon moment que la Russie de Poutine a renoncé à l'investissement sécuritaire global par excellence, à savoir les Bons du Trésor américain. Par Michel Santi, économiste (*)

Dans un souci évident de s'affranchir de la tutelle de l'Ouest, les Russes ne détiennent plus aujourd'hui que 3.7 milliards de dollars de dette américaine par rapport à leurs 177 milliards de 2010. La Banque centrale russe, quant à elle, est riche de 630 milliards de dollars en réserves, permettant ainsi au pays d'assumer le coût d'une année entière d'importations ainsi que 75% de sa dette envers l'étranger. De fait, la Russie a mis à profit les huit dernières années afin de réduire sa dépendance économique et financière en même temps que sa vulnérabilité face aux sanctions. Pour ce faire, les russes ont consenti à une baisse de leur niveau de vie, à une révision drastique de leur consommation, à des importations en chute libre de 30% depuis 2014, à des remboursements substantiels de leurs endettements extérieurs de leurs entreprises privées, enfin à un État parvenu à sabrer un tiers de la masse de ses endettements vis-à-vis de l'extérieur. Les Russes dans leur ensemble ont donc accepté de se serrer la ceinture depuis 2014 afin de se fortifier contre les armes économiques utilisées par l'Ouest.

Une exclusion de SWIFT empêchera néanmoins les Russes d'utiliser ces réserves générées, car quasiment plus aucun importateur ni exportateur étrangers ne seront en mesure de payer ou de recevoir ces devises - ce trésor de guerre - si industrieusement accumulées par l'État russe. Un gel des avoirs de la banque centrale russe détenus auprès d'institutions étrangères aura également des conséquences majeures sur l'équilibre macroéconomique intérieur du pays. La banque de Russie a effectivement déposé quelque 95 milliards de dollars auprès de ses consœurs européennes comme la Bundesbank, la Banque de France et du Fonds Monétaire International, entre autres. Il est rare - mais pas exceptionnel - que des comptes de banques centrales soient figés de la sorte. Souvenons-nous à cet égard du gel récent des avoirs publics afghans par les États-Unis, ou de celui de la Banque centrale du Venezuela par la Banque d'Angleterre avalisée par les tribunaux britanniques considérant «illégitime» le gouvernement en place. La combinaison de ces mesures financières rendra donc quasiment impossible le soutien sur les marchés financiers du Rouble qui subira dès lors une liquéfaction pure et simple.

 Déstabiliser l'économie russe

Les réserves des banques centrales constituant une arme fondamentale à disposition d'un pays autorisant la préservation de ses intérêts et de sa puissance macroéconomiques, la paralysie induite par le blocage SWIFT et de celui des réserves déposées à l'étranger ne laisse à la Russie que deux options, l'une pire que l'autre, à savoir le contrôle des capitaux accompagné d'une hausse frénétique de ses taux d'intérêt. Certes, la Russie pourrait-elle appeler la Chine à l'aide, car elle y détient quand même 15% de ses réserves. Elle pourrait en outre chercher à lui vendre une partie de ses stocks d'or totalisant 2.300 tonnes qui constituent quand même les 5e réserves les plus importantes au monde. Il n'est pourtant absolument pas acquis que la Chine accepte de prendre un tel risque vis-à-vis des États-Unis. Du reste, l'intérêt chinois évident serait que la puissance russe atteigne un niveau d'affaiblissement tel lui permettant de s'incruster durablement en Sibérie, et d'enfin profiter des immenses réserves de cette région historiquement si convoité.

Les mesures occidentales contre la Russie ont donc pour but non dissimulé de déstabiliser l'économie de ce pays en le coupant pour de bon du système financier international. Pour massives que soient ses réserves, il ne pourra en effet rien en faire si les chaînes de transmission sont bloquées et si la Russie en perd le contrôle. Tous les ingrédients sont désormais réunis pour un choc inflationniste mondial de taille, car le pendant de ces sanctions et de ces décisions lourdes aura naturellement un impact gigantesque sur l'économie mondiale, sur les chaînes de production, sur les prix de l'énergie, sur le fret maritime... Les multiples défauts de paiement russes des décennies précédentes ayant secoué les fondements des marchés sont sans commune mesure avec ce qui attend désormais l'économie mondiale.

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
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